Monsieur le Ministre,
Par la présente, nous, organisations membres du collectif CAP Loup et députés soucieux de la préservation des espèces, souhaitons vous interpeler concernant la politique du gouvernement visant à renforcer les tirs d’abattage de loups en France et à soutenir l’affaiblissement de cette espèce menacée sur la scène internationale.
En effet, nous déplorons que, bien que soit déjà autorisée en France la destruction de 19 à 21% de la population de loups gris chaque année, le gouvernement entende davantage assouplir les autorisations de tirs d’abattage par la mise en œuvre d’un nouveau Plan National d’Action Loups encore plus permissif.
Nous regrettons également que la France plaide activement auprès de la Commission européenne pour voir le statut de protection du loup affaibli au niveau européen, arguant du danger non maitrisable que représente cette espèce pour les troupeaux au pâturage.
Cette politique anti-loup, qui met à mal des années d’efforts de conservation, va à l’encontre des avis scientifiques du Conseil National pour la Protection de la Nature (CNPN) défavorables à la politique d’abattage jusqu’à présent mise en place en France, et est d’autant plus incompréhensible qu’elle contrevient à l’engagement pris par la France dans sa Stratégie Nationale Biodiversité 2030, laquelle prévoit notamment de renforcer la protection et inverser le déclin des espèces menacées (mesure 26).
Fondée sur aucune évaluation scientifique permettant d’affirmer l’efficacité de la chasse aux loups en faveur d’une meilleure protection des troupeaux, cette demande a malheureusement été entendue par la présidente de la Commission européenne qui a proposé, en décembre dernier, que la protection du loup soit révisée et affaiblie dans le cadre de la Convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe, dite Convention de Berne (propositions identiques rejetées en 2006, 2018 et 2022, à défaut, justement, de base scientifique légitimant ce changement de statut de protection).
Pourtant, dans le même temps, la Commission européenne publiait un rapport confirmant une série de constats régulièrement pointés pour dénoncer cette politique déraisonnée :
– La France est le pays qui abat le plus de loups proportionnellement à la population estimée sur son territoire qui est d’environ 1000 loups, population bien inférieure à celle de l’Espagne, de la Roumanie, de la Pologne ou de l’Italie qui en comptent 2 à 3 fois plus ;
– La France est le pays qui dépense le plus pour les mesures de protection des troupeaux (32,7 millions d’euros en 2022 et 175 millions d’euros prévus sur la période 2023-2029) ;
– Pourtant, la France est le pays, après l’Espagne, qui comptabilise le plus d’attaques mortelles de loups sur les troupeaux (avec un taux de mortalité restant cependant faible, soit 0,22% du cheptel ovin français) et qui dépense le plus d’argent public en indemnisation des dommages causés par les loups (4,1 millions d’€ pour 12 526 animaux tués en 2022).
La Commission rappelle également que les loups ont un rôle écologique non négligeable et que les études menées en France ne permettent pas de démontrer l’efficacité de la politique d’abattage mise en place.
Le gouvernement français alloue en effet des budgets colossaux à la protection des troupeaux et à l’indemnisation des éleveurs en cas d’attaques sur leurs troupeaux, sur simple déclaration, sans s’assurer que les troupeaux attaqués sont effectivement protégés par les moyens de prévention subventionnés (4,2 % de contrôles de terrain en 2021). Pour autant, vous allez mettre en place un nouveau Plan National d’Actions (2024-2029), qui assouplit les autorisations de tirs et déclarera certaines zones nouvellement concernées par la présence du loup, comme des « zones non protégeables » donnant droit à des indemnisations alors même qu’aucun effort de protection n’a été mis en place.
Par ces nouvelles mesures, vous confirmez la volonté du gouvernement de détruire les nouvelles populations de cette espèce menacée, plutôt que de généraliser la protection des troupeaux et d’adapter les mesures préventives et modes d’élevages aux zones concernées par la présence du loup.
Cette notion de « zone non protégeable », qui ne repose sur aucune réalité de terrain, créera par ailleurs un déséquilibre injuste entre les éleveurs « historiquement » concernés par la présence du loup, qui ont fait l’effort d’adapter leurs pratiques et de mettre en place des moyens de protection des troupeaux, et les éleveurs de ces nouvelles zones, lesquels n’auront pas à s’adapter à la présence du loup mais bénéficieront d’indemnisations sur simple déclaration.
La protection des loups en Europe n’est pas seulement une question d’importance écologique, mais aussi le reflet de notre engagement en faveur de la conservation de la biodiversité et des valeurs de coexistence et de tolérance. Les loups font partie intégrante du patrimoine naturel de l’Europe, jouant un rôle essentiel dans le maintien de l’équilibre des écosystèmes et de la biodiversité, soutenu par l’opinion publique.
En effet, dans un sondage réalisé en novembre 2023 dans 10 Etats membres de l’Union européenne interrogeant les populations rurales sur leur rapport aux grands carnivores, celles-ci se prononçaient majoritairement en faveur du maintien de la protection stricte des loups et d’autres grands carnivores (lynx, ours). 75% des ruraux français estimaient que les loups ont le droit d’exister dans l’Union européenne et 74% se déclaraient en faveur du maintien d’une protection stricte pour garantir leur survie à long terme.
Nous avons parfaitement conscience des challenges que représente la cohabitation entre les populations de loups et les activités humaines. Cependant, nous vous appelons, Monsieur le Ministre, à prendre en compte la voix des scientifiques et l’attente des Français, en évaluant les actions mises en place ces dernières années, en développant une ingénierie de protection avec toutes les parties prenantes et en structurant la politique française de cohabitation entre loups et élevage, afin d’optimiser les moyens engagés et de minimiser le recours aux procédés létaux.
Dans l’attente d’une réponse de votre part, nous vous prions de bien vouloir agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de notre haute considération.
Députés signataires :
Corinne VIGNON, députée de Haute-Garonne et Présidente du groupe d’études condition et bien-être des animaux
Anne-Laurence PETEL, députée des Bouches-du-Rhône et Vice-Présidente du groupe d’études
Vincent LEDOUX, député du Nord et Vice- Président du groupe d’études
Anne-Laure BABAULT, députée de Charente-Maritime
Yannick HAURY, député de Loire-Atlantique
Thierry FRAPPÉ, député du Pas-de-Calais
Andy KERBRAT, député de Loire-Atlantique
Pascal DURAND, député européen
Organisations Signataires :
Collectif CAP Loup
Fondation Brigitte Bardot – Christophe MARIE, Directeur adjoint
Animal Cross – Benoît THOMÉ, Président
ASPA Vosges – Nicolas SIMONET, Responsable du dossier Loup
Association Justice Animaux Savoie (AJAS) – Pauline DI NICOLANTONIO, Présidente
AVES – Sylvie CARDONA, Responsable du dossier Loup
Education Ethique Animale – Marie-Laure LAPRADE, Présidente
FERUS – Bertrand SICARD, Président
Focale pour le Sauvage – Sébastien TESTA, Président
Fonds international pour la protection des animaux (IFAW) – David GERMAIN-ROBIN, Directeur
FRANE – Monique et Hervé BOCQUET, Délégués faune sauvage
LAEO France – Noëlle SAUGOUT-SEPTIER, Fondatrice
Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO) – Allain BOUGRAIN DUBOURG, Président
Mille Traces – Jean-Marc OUARY, conseiller Loup
One Voice – Muriel ARNAL, Présidente
Pôle Grands Prédateurs – Michèle BUDNA CHAUDERON, Présidente
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