Interpellé sur le fait de ne pas avoir signé une proposition de loi demandant l’interdiction de la corrida, Éric Alauzet, député du Doubs, répond aujourd’hui par un long courrier sans équivoque :
Besançon, le 30 juillet 2014.
Madame, Monsieur,
Vous m’avez dernièrement interpellé au sujet de la Corrida, suite à une réponse personnelle adressée à une demande d’une habitante du département du Doubs relayée par l’association CRAC par une liste de diffusion
Ainsi, j’ai reçu un certain nombre de témoignages et de réactions d’adhérents du CRAC. Je remercie en particulier celles et ceux d’entre vous qui se sont gardés de propager des informations non vérifiées et inexactes et qui ont pris la peine d’argumenter dans le respect mutuel. J’ai d’ailleurs appris un certain nombre de choses.
Ma réponse un peu lapidaire mérite évidemment quelques explications, je vous l’accorde.
Concernant la partie qui a choqué un certain nombre d’entre vous, elle reprenait une « bribe de réponse » à un message antérieur datant de septembre 2013.
Conscient du caractère peu satisfaisant de cette phrase, j’ai ajouté que ce projet de proposition de loi ne serait ni déposé et encore moins adopté. Ce qui reste vrai.
Malheureusement, accaparé par pas moins de trois interventions dans l’hémicycle en trois jours, je n’ai pas pris le temps du recul et de l’explication. Je le fais maintenant en vous répondant à la fois personnellement et plus généralement.
Pour que les choses soient extrêmement claires :
- Le mouvement EELV est opposé à la corrida.
- Je suis opposé à la corrida. Au-delà de tous les arguments évoqués par les uns et les autres concernant la souffrance des animaux pour le plaisir sordide de quelques humains, en tant qu’humaniste je n’ai pas besoin d’insister sur le caractère avilissant pour l’humain de cette pratique moyenâgeuse et barbare !
- Contrairement à ce que certains ont pu affirmer, je n’ai jamais dit que la chasse à courre était une « tradition respectable » ! Je remercie par avance celle ou celui qui a jeté cette affirmation en pâture de bien vouloir la rectifier dans les meilleurs délais. Il est regrettable que cette rumeur ait été répétée en boucle sans vérification par un certain nombre de personnes. Cela ressort malheureusement d’une pratique détestable et (trop) répandue dans le débat politique qui confine à la démagogie, au populisme et nourrit l’antiparlementarisme ambiant et l’extrémisme. Je n’ose pas évoquer les démarches malsaines de quelques-un(e)s. Il n’est pas rare d’observer de telles pratiques dont l’objectif est d’exciter un peu plus ses partisans en portant l’indignation à son comble. Une seule des personnes qui a repris cette rumeur a pris la précaution d’indiquer : « il paraît que… »…
Et c’est parce que je suis totalement opposé à la Corrida que j’entends, en tant que député, utiliser les meilleurs outils législatifs et parlementaires pour porter fortement et concrètement cette opposition.
A quoi sert une PPL ? :
Un projet de proposition de loi déposé par un ou des parlementaires a très souvent pour seul ou principal objectif de rappeler un positionnement et pas d’être débattu à travers cette PPL.
En effet, la possibilité d’initiative législative d’un parlementaire est extrêmement réduite. Le groupe EELV fort de ses 17 députés, ne dispose que d’une seule journée par an pour trois propositions, soit 15 propositions au total sur le mandat de cinq ans,… Cela fait moins d’une proposition par député. On peut le regretter et on peut manifester son mécontentement devant cet faiblesse démocratique de la Vème République, comme mes collègues écologistes et moi-même le faisons régulièrement vis-à-vis de des institutions de la Vème république, mais on ne peut pas me reprocher de chercher le meilleur moyen de défendre nos valeurs, notre cause et nos engagements politiques.
Pourtant, certains parlementaires déposent de nombreuses propositions de lois. Justement pour réaffirmer leurs idées. Cette pratique, même si elle est légitime et souvent la seule réponse possible, est à mon avis abusive et peut tromper les électeurs qui pensent ainsi à tort que les députés vont défendre ces projets en les présentant devant le Parlement et en les votant. Et encore faut-il construire et obtenir une majorité favorable. Or, il n’en n’est rien car la grande majorité de ces PPL ne sont ni déposées et encore moins débattues. C’est ce que j’ai voulu expliquer sans doute avec trop peu de précision.
La limite de l’exercice doit selon moi conduire les députés à ne déposer des PPL que sur la base de quelques critères simples :
- Une PPL qui a une chance d’être déposée par le groupe : nous prenons soin de choisir des sujets sur lesquels nous avons une chance de gagner. Nous ne pouvons pas nous permettre de gâcher nos occasions. Là nous aurions une grande partie l’hémicycle face à nous et cette démarche serait vaine, C’est pour cela que j’ai expliqué qu’elle ne serait pas débattue parce que pas déposée. Ainsi, en 2013 nous avons déposé les 3 PPL suivantes : Coprésidence paritaire pour les groupes politiques, Indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et protection des lanceurs d’alerte et Application du principe de précaution aux ondes électromagnétiques et en 2014 celles-ci : l’encadrement de l’utilisation des produits phytosanitaires, la limitation de l’exposition aux ondes électromagnétiques et l’introduction de nouveaux indicateurs de richesse pour la gouvernance des finances publiques.
- Une PPL en lien avec l’actualité : c’est ainsi que le groupe EELV a déposé une PPL sur l’utilisation de la contribution climat énergie au moment où celle-ci était en débat et ne s’orientait pas dans le sens que nous souhaitions ; c’était une façon d’affirmer des positions et de peser sur un débat d’actualité.
- Une PPL sur un sujet jugé d’importance et là chacun aura son appréciation.Mais il y a d’autres occasions de faire valoir ses idées et surtout de les soumettre au vote, c’est la pratique de l’amendement qui, elle, est usuelle. C’est d’ailleurs le principal levier des parlementaires. Il faut simplement que le projet de loi – on dit aussi un « véhicule législatif » susceptible de « transporter » l’amendement – s’y prête. Au risque, si le véhicule n’était pas adapté de voir l’amendement alors qualifié de « cavalier » et tout simplement écarté du débat. Précisément, se profile pour l’automne une loi sur la biodiversité qui pourra permettre de traiter une question comme celle de la corrida. Encore que certains argueront que c’est un cavalier mais on verra bien. Et dans ce cadre, je n’aurai aucune difficulté à cosigner cet amendement et à le défendre.
Quand on dispose d’une initiative de loi sur un mandat de cinq ans, une fois encore, il faut la choisir avec beaucoup d’attention pour avoir une chance d’aboutir.
Plus globalement, je suis engagé avec EELV, dans la suite du programme porté lors de l’élection présidentielle en 2012 sur un projet de réforme du statut de l’animal qui prévoit une loi « Droits et Protection des Animaux » et édictera un nouveau statut juridique de l’animal et permettra de passer définitivement de la notion du « bien meuble » à celle d’être vivant et sensible, ayant légitimement droit au respect. Ce point sera fondateur de progrès notables dans ce domaine, comme par exemple la conditionnalité des aides au spectacle avec des animaux, au respect du bien-être animal, y compris dans le cadre des subventions de la PAC, car l’aide européenne peut bénéficier à des élevages de taureaux dits « de combat ».
Je suis complètement en phase avec la position d’EELV à savoir :
- L’interdiction sans conditions de tout acte induisant la souffrance ou le mal-être d’animaux au prétexte d’activités de loisirs, culturelles, traditionnelles (combats de coqs, corrida …) ou d’œuvres artistiques.
- L’interdiction de la détention et de l’utilisation d’animaux à fins de distraction, pour l’ensemble des activités qui privent les animaux sauvages ou domestiques de liberté et de dignité et génère de la souffrance ; et la mise en place de plans de replacement des animaux détenus avec la collaboration des associations et des refuges spécialisés.
Nous aurons avec le projet de loi sur la Biodiversité la possibilité de déposer plusieurs amendements dans ce sens.
Vous pouvez donc compter sur ma détermination mais aussi entendre les raisons qui expliquent mes choix alors que tant de demandes, pour la plupart respectables, importantes et plus légitimes les unes que les autres, s’expriment ici et là et conduisent nos concitoyens à considérer que nos priorités ne sont pas les bonnes, que notre stratégie n’est pas pertinente, pire, que nous n’agissons que par intérêt personnel ou par lâcheté, que nous sommes immobiles et autres aménités
La réalité est souvent bien plus complexe qu’on ne le croit.
Enfin, je reviens également sur la question de la pédagogie versus l’abolition.
Loin de s’opposer, ces ceux termes se complètent à la nuance près que le second ne se concrétisera qu’à la condition d’activer le premier. Bien entendu, la pédagogie ne s’adresse pas aux thuriféraires de la corrida et il ne faut pas compter sur une évolution de leur part. Et donc, l’interdiction devra s’imposer à eux. Non, je parle de la grande majorité de nos concitoyens qui regarde d’un peu loin cette question et auprès desquels il reste un important travail de conviction à réaliser. Je m’y emploie.
J’espère que cette réponse corrigera le message particulier émis il y a quelques jours auprès d’une militante et que vous aurez à cœur de la faire connaître
En espérant avoir été le plus précis possible, je reste bien entendu à votre disposition et vous prie d’agréer, Madame, Monsieur, l’expression de mes salutations distinguées.
Éric ALAUZET
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