Sur le site "La Buvette des Alpages" :
« Europe Ecologie-les Verts a arrêté mi décembre ses listes de candidats aux élections européennes. Sandrine Bélier, l'Alsacienne députée européenne, sera tête de liste dans l'Est de la France. José Bové sera lui tête de liste dans le Sud-Ouest. Après les propos de José Bové sur le loup, ci-dessous la position de Sandrine Bélier, du même parti EELV... »
par Sandrine Bélier et Gilles Luneau
Gilles Luneau : En fait, le loup a commis ici une ingérence écologique… refusée par une partie de la population – je pense aux bergers – mais acceptée par d’autres qui, par la vie qu’ils mènent, ne risquent pas de rencontrer un loup au coin de la rue…
Sandrine Bélier : On peut le dire comme ça. En effet, les écologistes ne sont pour rien dans sa réapparition en France, par contre nous sommes responsables des lois votant sa protection. Et là, cela déchaîne les passions. Il y a plusieurs niveaux de compréhension de l’affaire. Le loup habite l’imaginaire avec un mélange de peur, de fascination, de diabolisation socioculturelle et religieuse. Buffon disait du loup : “Désagréable en tout, la mine basse, l’aspect sauvage, la voix effrayante, l’odeur insupportable, le naturel pervers, les moeurs féroces, il est odieux et nuisible de son vivant, inutile après sa mort.”
La biodiversité une chance, nous avons un plan BSa réapparition pose la question de la cohabitation entre les deux grands mammifères que sont l’homme et le loup. La cohabitation possible et le partage de territoire, la même question est posée avec l’ours dans les Pyrénées, moins avec le lynx dans les Vosges. J’entends bien le désarroi des éleveurs de brebis. Mais je sais aussi qu’il faut savoir faire la part de ce qui relève des méfaits du loup et de ce qui revient aux chiens errants ; et réfléchir aux méthodes d’élevage extensif. En Suisse, le loup est tenu à l’écart des troupeaux avec des chiens de berger de type “patou”. En France, le plus souvent, quand deux ou trois mille moutons sont lâchés sans surveillance dans la montagne, on se demande où sont passés les bergers.
Gilles Luneau : Pourtant, les éleveurs ou les bergers qui restent garder les brebis sont plutôt contre… D’autant qu’avec environ deux cent cinquante individus en France dans une dizaine de départements, deux fois plus de sujets qu’en Italie, le loup en tant qu’espèce n’est plus en danger.
Sandrine Bélier : Oui, l’important maintenant, c’est de gérer sa population. De l’autre côté des Alpes comme de l’autre côté des Pyrénées, de même qu’en Suisse, cela se passe très bien.
•Pourquoi, en France, ne serait-il plus possible aujourd’hui de partager un territoire avec un animal sauvage?
•Quelle sont aujourd’hui la plus grande menace et la cause principale de la détérioration des conditions de vie et d’activité des éleveurs de montagne?
•L’industrialisation de la production alimentaire et sa mondialisation?
•L’artificialisation galopante de nos territoires?
•L’artificialisation de nos modes de consommation et modes de vie?
•Ou le loup?
•La cohabitation entre “grands” mammifères est-elle devenue totalement impossible et ingérable?
•N’a-t-on aucune autre réponse que l’éradication et la destruction en cas de conflit de territoire?
C’est une bien drôle de manière d’envisager nos interconnexions dans un monde vivant. C’est d’une incroyable banalité, de se replier dans la facilité du refus de s’adapter aux situations nouvelles, alors même que des solutions alternatives existent. Sommes-nous vraiment incapables – psychologiquement et pratiquement – de nous adapter à la réapparition d’un mammifère qui avait disparu de notre territoire sous la pression de nos choix de développement, bien plus prédateurs que ne l’est l’espèce dans le viseur… ou s’agit-il, une fois encore, d’une posture court-termiste non dénuée d’intérêts corporatistes ?
Je penche, sans surprise, pour la seconde solution. Je penche, sans surprise, pour la loi : celle de la nature qui nous invite à l’intelligence de cohabiter et à trouver les justes équilibres. Celle de la République qui définit comme un délit – passible d’amende et de prison – la destruction volontaire d’une espèce protégée qui ne doit son statut qu’à sa rareté et à sa fragilité, conséquences de nos irraisonnés et irraisonnables choix passés. Si c’est le loup ici ou l’ours là-bas qui menacent l’agriculture de montagne aujourd’hui, c’est qu’elle est vraiment en mauvais état et ce n’est pas la mort d’un loup qui la sauvera ! C’est le changement de pratiques. Sans accord avec leur milieu, les éleveurs de montagne seront les grands perdants. Pour gagner, il s’agit de réinventer ensemble le développement des territoires ruraux.
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Gilles Luneau : Demeure que le loup, c’est le méchant, le mangeur d’hommes, alors, quand on chasse et que l’on tombe nez à nez avec un loup, on épaule. Cela peut se comprendre comme un réflexe quasi inné, non ? Je me souviens de ce que m’avait raconté mon grand-père maternel. Cela se passait pendant un hiver particulièrement rude, avant la guerre de 14. Il était alors employé comme épicier ambulant avec une voiture à cheval. En traversant la forêt de Compiègne, il a été poursuivi par une meute de loups. S’il avait été armé, il aurait tiré pour protéger sa jument et sa vie.
Sandrine Bélier : C’est normal, on le comprend, mais c’est un cas extrême. Les loups, vraisemblablement affamés par – déjà – la détérioration du milieu, en avaient certainement plus après le cheval qu’après l’homme. Savez-vous que le loup mangeur d’hommes est une allégorie employée de longue date par les poètes, les conteurs pour colporter les faits divers sordides ?
Tenez, prenons le Petit Chaperon rouge, fable par excellence fondatrice du loup mangeur d’hommes. En fait, cette fable est inspirée d’un fait divers crapuleux, celui d’une jeune fille victime d’un chasseur violeur. Elle a pour but de rendre vigilants les enfants face aux inconnus. Rappelez-vous la “moralité” du conte de Charles Perrault :
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Le loup n’est pour rien dans cette histoire, Perrault nous y parle des hommes. Mais cette histoire lui colle à la peau.
Gilles Luneau : Donc, on peut se promener dans les bois sans avoir peur du loup ? (...)
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Sandrine Bélier : (...) C’est quand même un paradoxe des plus surprenants que de voir les hommes accepter de vivre à côté d’une usine nucléaire, d’une usine à risque Seveso, de manger des aliments bourrés de pesticides et avoir peur du loup !
On a moins de probabilités de se faire attaquer par un loup ou un ours que de se faire mordre par un serpent. Dans cette affaire, on est dans le fantasme.
L’idée de partager le territoire avec ces animaux est pourtant excitante, non ?
Il nous faut seulement prendre les dispositions pour rendre compatible la présence de ces prédateurs avec les activités humaines sur un même territoire. Très souvent, les associations environnementalistes sont à même, par leurs connaissances, d’aider les pouvoirs publics à mettre en place des formations, des mesures pratiques, adaptées et opérationnelles, afin d’aider véritablement les éleveurs, voire de mener des expérimentations se moulant dans les particularités d’un territoire.
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