Droit animal

Esther Benbassa et les écologistes déplorent la suppression au Sénat de la reconnaissance de la sensibilité des animaux

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Mme Esther Benbassa. (...) J’émettrai également un regret, la suppression de l’article 1er bis, relatif au statut juridique des animaux qui, s’il était loin d’être parfait, avait le mérite d’aborder véritablement la question.
Nous comprenons les raisons qui ont mené à la suppression de cet article, mais nous [Le Groupe écologiste] espérons que le statut juridique de l’animal, cet « être vivant doué de sensibilité », fera l’objet d’une réforme ambitieuse, propice à changer le regard de notre société sur l’animal et à mettre fin à certaines pratiques particulièrement cruelles.
M. André Gattolin. Bravo !

Séance du 22 janvier 2015 (compte rendu intégral des débats)

M. Jean-Jacques Hyest. Absolument !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Certainement !

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. L’ensemble de ces raisons militent en faveur de la suppression de l’article 3. Ce désaccord entre nos deux chambres ne doit toutefois pas masquer le soutien que nous apportons par ailleurs à la plupart des autres dispositions du texte, qui présentent toutes un grand intérêt. C’est la raison pour laquelle, compte tenu des modifications qu’elle a apportées, votre commission des lois vous propose d’adopter le présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. le président de la commission des lois, MM. Yves Détraigne, Guillaume Arnell et Jean-Jacques Hyest applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. David Rachline.

M. David Rachline. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, s’agissant de ce texte, et comme mes collègues ayant rejoint la Haute Assemblée voilà quelques mois, je prends le train en marche. Mais j’estime qu’il est intéressant pour le débat démocratique qu’un des rares représentants du premier parti de France, à l’aune des derniers résultats électoraux en tout cas, donne un rapide avis, même si le processus parlementaire est déjà très avancé.
Le projet de loi a pour objet de simplifier le droit et les procédures. Qui peut être contre la simplification ? Les textes législatifs s’accumulent et la croissance exponentielle des différents codes est aujourd’hui problématique pour tout le monde. Nul n’est censé ignorer la loi. Mais nul n’a non plus le temps de la lire dans sa totalité et de la comprendre. Nous sommes dans une impasse ! De surcroît, pour alléger et simplifier le droit, il ne suffit pas d’écrire plus petit, n’en déplaise à l’un des membres du Gouvernement. Il est ainsi nécessaire de toiletter notre droit. Ce projet de loi va manifestement en ce sens.
Cependant, lorsque l’on s’attaque à la simplification, on a vite fait de mettre un peu tout et n’importe quoi dans un texte : de vraies simplifications qui ne méritent pas que l’on passe des heures à disserter dessus, mais aussi, et c’est souvent la tentation, des réformes de fond, qui, elles, mériteraient un véritable travail législatif, ce qui est le cas ici, si j’en crois les débats qui se sont déjà tenus dans cet hémicycle et si j’en crois notre commission des lois.
Les différentes lectures devaient à mon sens permettre de discuter sur quel point l’outil « ordonnance » pouvait être utilisé dans un souci d’efficacité et sur quel point le Parlement devait pleinement jour son rôle de législateur. La double lecture de ce projet de loi souligne le désaccord entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Je ne suis pas encore un spécialiste des arcanes parlementaires, mais j’ai du mal à comprendre pourquoi les réformes souhaitées par Mme la garde des sceaux, pour lesquelles elle demande aujourd’hui l’autorisation de légiférer par ordonnance, n’ont pas fait directement l’objet d’un projet de loi, étant donné le temps que ce texte aura passé au Parlement malgré l’utilisation de la procédure accélérée ! Cela a d’ailleurs été souligné par notre collègue Thani Mohamed Soilihi dans son rapport.
En outre, je m’étonne de l’ajout d’éléments « parasitaires » à ce texte ! Je me félicite par conséquent que notre commission des lois ait supprimé les dispositions relatives aux animaux ! Je ne vois en effet aucun lien entre la simplification du droit et de telles mesures.
De plus, alors que les tragiques événements qui ont récemment frappé notre pays mettent en exergue le double échec des services judiciaires à la fois par la récidive et la non-application complète des peines grâce à des remises de peine dont on a du mal à voir la justification, je m’étonne que la Chancellerie n’ait pas, si j’ose dire, d’autres chats à fouetter !
Je voterai donc le texte présenté par notre commission des lois, qui me semble constituer un bon équilibre entre efficacité législative et respect des prérogatives du Parlement.

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis déjà deux ans, le Gouvernement s’est lancé dans un vaste chantier de simplification du droit. Ce « choc de simplification », tel qu’annoncé par le Gouvernement, a notamment pour objectifs de permettre une meilleure lisibilité, intelligibilité et accessibilité des textes de loi, objectifs auxquels nous souscrivons évidemment totalement.
Cependant, le présent projet de loi, qui vise à moderniser et à simplifier le droit et les procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, ne répond que partiellement à une telle feuille de route.
Je rappellerai brièvement les objectifs, avant d’évoquer la méthode utilisée.
Le projet de loi balaie tous les thèmes, tous les sujets, sans grande cohérence. Reconnaissons qu’il est difficile d’établir un lien étroit entre l’action possessoire, à l’article 4, la communication par voie électronique en matière pénale, à l’article 8, et le régime juridique applicable aux voitures sans permis, à l’article 9 ter.
Bien que l’Assemblée nationale ait apporté quelques améliorations bienvenues, nous sommes toujours en présence d’un texte de qualité variable et au contenu hétérogène, bref d’un texte « fourre-tout ».
Mais, au-delà de la forme, c’est surtout, je crois, la méthode qui cristallise les critiques.
Alors qu’on participe actuellement à une importante réflexion sur l’amélioration de la qualité du travail parlementaire, le Gouvernement préfère une solution plutôt radicale : dessaisir le Parlement et légiférer lui-même.
Nous ne sommes évidemment pas favorables à ce procédé, quelle que soit la majorité qui l’utilise.
Guy Carcassonne, juriste bien connu, considérait l’« usage immodéré » des ordonnances « franchement inquiétant ». Analysant la valeur des textes ainsi adoptés, il se montrait particulièrement sévère, les jugeant « généralement […] défectueux ». Il ajoutait que « les malfaçons ne se révèlent qu’a posteriori, là où il se serait sans doute trouvé un parlementaire pour soulever, fut-ce ingénument, le problème qui ne s’est découvert qu’après, à l’occasion de contentieux multiples. » Tout est dit !
Le comble, c’est que le Gouvernement nous propose ici de recourir aux ordonnances de l’article 38 de la Constitution dans des matières hautement symboliques. Quoi de plus symbolique en effet, pour le Parlement, que notre code civil ?
La réforme proposée, par son ampleur – cela représente près de 300 articles –, comme par ses répercussions éventuelles, est la plus ambitieuse depuis la création du code civil. Le droit des contrats est en passe d’être remanié de fond en comble au travers de cette réforme.
Peut-on raisonnablement envisager une telle réforme par voie d’ordonnance ? La réponse ne peut évidemment être que non ! Si encore on avait annexé les projets d’ordonnance au projet de loi… Mais ce n’est pas le cas.
Pour reprendre les mots très justes de notre rapporteur, « l’importance de l’enjeu semble exiger que le Parlement se saisisse de cette réforme, afin qu’un débat public puisse avoir lieu ». Oui, un débat public sur ces matières qui touchent le quotidien de nos concitoyens – c’est le code civil –, aussi bien dans leur vie privée que dans la vie des affaires, est indispensable ! À deux exceptions près, la réforme de la filiation en 2005 et celle du droit des sûretés en 2006, la règle a toujours été de réformer le droit civil par la loi.
Je tiens donc à saluer la position de principe affirmée par notre rapporteur, M. Thani Mohamed Soilihi, et soutenue par l’ensemble des membres de la commission des lois : la commission a toujours refusé les ordonnances dans certains domaines comme le droit civil ou le droit pénal et nous entendons bien continuer à appliquer cette doctrine.
Notre rapporteur nous a d’ailleurs détaillé les raisons de forme, que j’ai évoquées précédemment, mais également les raisons de fond qui justifient notre position : la réforme du droit des obligations pose des questions politiques majeures, que seul le Parlement peut trancher.
Comme nous l’avons fait en commission, nous soutiendrons donc en séance le rapporteur et le président de la commission qui n’ont pas hésité à rejeter plusieurs demandes d’habilitation du Gouvernement.
Nous soutenons aussi la suppression, par la commission des lois, des dispositions nouvelles relatives au statut des animaux. En effet, la rédaction retenue de ces mesures, sans grand lien d’ailleurs avec l’objet initial du projet de loi, loin d’être parfaite, soulève de réelles interrogations. Ses promoteurs estiment qu’il faut assurer une reconnaissance symbolique de la spécificité des animaux dans le code civil. Or ce type de consécration n’a pas sa place dans le code civil, qui n’a vocation à comporter que des dispositions normatives.
Il est en outre difficile d’évaluer l’incidence réelle de cet article 1er bis sur le droit en vigueur, et de s’assurer qu’il ne modifie pas le régime juridique applicable aux animaux, car il tend à supprimer, dans plusieurs articles du code civil, la référence à l’animal en tant que bien. Loin de simplifier et de clarifier le régime applicable aux animaux, les dispositions introduites complexifient un domaine déjà éclaté et pourraient en outre entraîner des conséquences économiques désastreuses – tout le monde voit de quoi je veux parler.
Nous appuyons aussi la démarche du rapporteur consistant à supprimer les demandes d’habilitation au profit de l’adoption directe des mesures envisagées, lorsque cela est possible. Cela démontre encore une fois que le recours aux ordonnances n’est pas, tant s’en faut, la garantie d’une modification plus rapide de notre droit.
Citons l’exemple de l’article 8 du projet de loi dans lequel la demande d’habilitation relative à la communication électronique en matière pénale a été remplacée par le dispositif envisagé par le ministère de la justice pour garantir les droits de chacun. C’est plus clair, plus rapide, plus respectueux du Parlement.
Même si nous ne sommes pas favorables à toutes les dispositions de ce texte, ni à son caractère fourre-tout, il nous paraît important, à ce stade, de soutenir la position de la commission des lois qui a préféré supprimer les demandes d’habilitation au profit de l’adoption directe des normes envisagées lorsque cela est possible.
C'est la raison pour laquelle nous voterons ce projet de loi en espérant que le Gouvernement, mais aussi nos collègues députés entendront le message que nous leur adressons : permettre au Parlement d’exercer pleinement et sereinement sa mission. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, de l'UMP et du RDSE. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.

M. Jean-Jacques Hyest. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’échec constaté et prévisible de la commission mixte paritaire nous amène aujourd’hui à débattre de nouveau – presque pour la gloire ! – du projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans le domaine de la justice et des affaires intérieures. Sur le projet de loi initial, déposé voilà plus d’un an, a été engagée la procédure accélérée. L’accélération ne permet pas d’aller plus vite (Sourires.), je dois le constater, mais sans doute l’ordre du jour était-il trop chargé pour que nous examinions le texte à ce stade.
J’avais, en première et unique lecture, exposé mon point de vue sur l’article 3, qui est le point central de ce projet de loi. C’est aussi le point essentiel de divergence avec l’Assemblée nationale et avec Mme le garde des sceaux, donc le Gouvernement, que vous représentez aujourd'hui, monsieur le secrétaire d'État. Je ne vous cache pas que mon opinion n’a pas évolué sur ce point. Je ne me résous toujours pas à ce que le droit des contrats et des obligations soit réformé par ordonnance. Je ne reprendrai pas l’excellente démonstration de M. le rapporteur, mais je tiens à redire que j’y vois en plus un risque réel d’inconstitutionnalité.
Vous avez cité la réforme de la filiation de 2005, mais ce n’est pas tout à fait la même chose puisque des décisions qui fixaient les grandes règles avaient déjà été prises par le Parlement. L’adaptation visait uniquement à rendre conformes l’ensemble des textes au fait qu’était supprimée la notion d’enfant naturel et d’enfant adultérin ; les principes avaient été délibérés au Parlement, et seule l’adaptation avait été faite par ordonnance, la modification adoptée ayant des conséquences dans de nombreux de textes.
L’argument avancé à l’époque par Mme le garde des sceaux pour justifier les ordonnances, et également retenu par le rapporteur de l’Assemblée nationale, était de dire que le Parlement n’avait pas le temps de réformer le droit des contrats ; mais cela ne tient pas ! On peut d’ailleurs prouver que bon nombre de réformes de droit civil ont été menées au travers du débat parlementaire.
Le rapporteur de la commission des lois, notre collègue M. Thani Mohamed Soilihi, dans son excellent rapport, souligne le fait que les avant-projets d’ordonnance transmis ne seraient pas exempts d’imperfections – je les ai moi-même lus, ce sont plus à mon avis des monstruosités que des imperfections – ou de choix qui mériteraient une discussion plus nourrie et plus publique que celle qu’autorise la procédure de l’ordonnance. Sinon, il s’agit uniquement d’une discussion entre spécialistes. Sont effectivement consultées toutes les professions juridiques. Certaines d’entre elles ainsi que certains universitaires nous ont d'ailleurs fait savoir qu’ils n’étaient pas du tout d’accord avec cette option. Les ordonnances vont évoluer, je l’espère, parce qu’elles sont très imparfaites.
Le rapporteur met en évidence les conséquences directes de ce choix des ordonnances, qui supprime de fait la procédure du « retrait litigieux », lequel pose la consécration de la théorie de l’imprévision, de la rupture unilatérale du contrat ou de l’introduction de clauses abusives en droit civil. Ce ne sont pas de petites questions, monsieur le secrétaire d'État, et vous qui êtes un vrai juriste le savez bien.
Le second point de divergence entre nos deux assemblées porte sur la question du statut juridique de l’animal.
La disposition introduite est bien sympathique, mais il existe une notion simple dont il faut tenir compte : le fait que l’animal est un bien. Pourquoi l’animal est-il considéré, dans le code civil, comme un bien ? Parce qu’on peut le vendre et qu’on peut le louer. Cela n’empêche nullement que d’autres dispositions prévues par le code de l’environnement et par d’autres textes reconnaissent que l’animal est un être sensible dont il faut tenir compte en tant que tel. Mais cela ne relève pas du droit civil et cela existait déjà.
Or on veut vraiment tout mélanger. On va aboutir en fait à une incompréhension totale de ce qu’est le droit civil. Cette confusion est certes engagée depuis un certain temps déjà, me direz-vous ; mais ce n’est pas une raison pour persévérer !
Bien sûr, la marge de manœuvre du Sénat était limitée, mais cette réflexion sur le statut de l’animal aurait mérité, vous l’avouerez, un débat un peu plus approfondi, même si l’on va faire plaisir à la personne dont la disposition gardera le nom...
Les mesures relatives aux moniteurs d’auto-école stagiaires, la non-soumission au permis à point pour les voiturettes correspondent effectivement à une simplification du droit et des procédures dans le domaine de la justice. La commission des lois va dans ce sens.
Vous avez accepté un certain nombre de dispositions. Vous avez dit aussi – c’est très important – que, quelquefois, les ordonnances ne sont pas utiles et qu’il est préférable de légiférer directement. S’agissant de questions relativement simples – d'ailleurs, le Gouvernement était d’accord sur ce point –, autant mettre directement les dispositions dans la loi.
Pour finir sur un point positif, monsieur le secrétaire d'État, je souligne que l’article 14, tel qu’il a été rédigé par le Sénat et non modifié par l’Assemblée nationale, est une bonne chose, car il précise le domaine de l’habilitation, ainsi que toutes les procédures d’autorisation qui pourraient être remises en cause.
Le groupe UMP soutiendra donc les propositions de la commission des lois, mais se réserve bien entendu le droit de faire vérifier par le Conseil constitutionnel la légalité de certaines dispositions. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC. – M. le rapporteur applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes saisis, en nouvelle lecture et près d’un an après le premier examen, du projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures.
Ce texte, qui vient allonger la liste des projets de loi d’habilitation à prendre des ordonnances soumis au Parlement par le Gouvernement, s’inscrit dans le programme de simplification, d’allégement des contraintes, de clarification de l’action administrative et de modernisation du droit et des procédures.
Moderniser certaines règles de droit pour en améliorer la lisibilité et l’intelligibilité, simplifier les procédures permettant aux justiciables d’obtenir une réponse adaptée à leurs besoins, voilà des objectifs que nous ne pouvons que soutenir !
Mais comme je l’avais souligné lors de la première lecture, c’est plus la forme que le fond de ce texte qui dérange le groupe écologiste.
Je fais bien entendu allusion au choix fait par le Gouvernement de recourir aux ordonnances prévues par l’article 38 de la Constitution. Ce choix, qui implique une absence de débat serein sur certaines mesures qui, en l’occurrence, sont fort nombreuses, nous le déplorerons toujours.

M. Charles Revet. Eh oui !

Mme Esther Benbassa. Nous, écologistes, avons toujours, et devant les deux chambres, contesté ce mode d’examen de projets de loi ambitieux et importants pour la vie de nos concitoyens.
Il convient de rappeler que ce projet de loi comptait à l’origine plus de quinze demandes d’habilitation, concernant, notamment, le droit des obligations, pilier du droit civil s’il en est.
Je veux ici saluer le travail de notre rapporteur M. Mohamed Soilihi et la cohérence dont a fait preuve la commission des lois, laquelle, considérant que la réforme méritait d’être soumise à la décision de la représentation nationale, s'est, à toutes les étapes de la navette parlementaire, opposée à ce que la réforme du droit des obligations échappe au Parlement et soit abandonnée à la procédure de l’ordonnance.
Ce fut d’ailleurs le « nerf de la guerre », si j’ose dire, entre la Haute Assemblée et l’Assemblée nationale qui, elle, s’était laissé convaincre par les arguments du Gouvernement sur la technicité du texte ou l’ordre du jour irrémédiablement encombré.
C’est alors ce désaccord de principe qui a mené à l’échec de la commission mixte paritaire et nous réunit à nouveau aujourd’hui.
Notre commission des lois est alors restée fidèle à ses principes, confirmant son vote de première lecture en adoptant un amendement de suppression de l’article 3.
Comme l’a rappelé notre rapporteur à juste titre, le Parlement est saisi du présent texte depuis plus d’un an maintenant, temps qui aurait pu permettre d’examiner la réforme du droit des obligations si elle nous avait été soumise. Il n’avait d’ailleurs pas fallu autant de temps pour adopter, par la voie législative ordinaire, l’ambitieuse et technique réforme du droit des successions.
J’émettrai également un regret, la suppression de l’article 1er bis, relatif au statut juridique des animaux qui, s’il était loin d’être parfait, avait le mérite d’aborder véritablement la question.
Nous comprenons les raisons qui ont mené à la suppression de cet article, mais nous espérons que le statut juridique de l’animal, cet « être vivant doué de sensibilité », fera l’objet d’une réforme ambitieuse, propice à changer le regard de notre société sur l’animal et à mettre fin à certaines pratiques particulièrement cruelles.

M. André Gattolin. Bravo !

Mme Esther Benbassa. Pour conclure, je dirai, comme en première lecture, que s’il est sans nul doute à la fois pertinent et urgent d’améliorer la lisibilité de notre législation et, partant, la sécurité juridique de nos concitoyens, il sera toujours difficile, pour le groupe écologiste, d’accepter que, sous couvert de simplification, des pans entiers du code civil soient réécrits par ordonnance,…

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Vous avez raison !

Mme Esther Benbassa. … notamment des articles portant sur des sujets aussi importants que le droit des contrats.
Mais, une fois de plus, la commission des lois, sur l’initiative de M. le rapporteur, a fait preuve de pugnacité. Ses travaux ont abouti à un texte plus équilibré, auquel le groupe écologiste apportera son soutien. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste. – MM. Daniel Gremillet et Hilarion Vendegou applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’essentiel ayant déjà été dit, je ciblerai mon propos sur certains points précis.
Vous le savez, monsieur le secrétaire d'État, la commission des lois s’est opposée unanimement à la multiplication des demandes d’habilitation à légiférer par ordonnance qui figuraient dans le projet de loi initial et dans le texte issu de l'Assemblée nationale.
Cela a été rappelé, au moment de la première lecture, le Gouvernement a présenté aux parlementaires un texte soumis à la procédure accélérée et truffé de demandes d’habilitation – plus d’une quinzaine. Il fallait aller vite, il y avait urgence. À l’époque, nous rappelions que « urgence, retard dans la transposition des directives communautaires et simplification du droit sont au nombre des raisons régulièrement invoquées par les gouvernements successifs pour légiférer par ordonnances. »
Au Sénat, la discussion en séance publique a commencé, à un jour près, voilà tout juste un an, le 21 janvier 2014. Finalement, le temps n’était pas si compté... Nous regrettons que la période qui s’est écoulée depuis n’ait pas permis d’avoir un véritable débat et de s’approprier les sujets sur lesquels une habilitation à légiférer par ordonnance avait été initialement demandée.
Nous nous félicitons donc que la commission des lois ait maintenu sa position initiale. Malgré la volonté de l’Assemblée nationale de rétablir certaines habilitations, la commission a une nouvelle fois exprimé son désaccord en supprimant certains articles qui allaient en ce sens. Le temps législatif semblait compté ; pour autant, nous ne pouvions pas accepter l’apparition de certains articles qui, même s’ils portent sur des sujets réels et sérieux – le problème n’est pas là –, sont sans rapport direct avec l’objet initial du présent projet de loi.
Certes, il s’agit d’un texte balai – je n’irai pas jusqu’à dire « fourre-tout » – qui permet de prendre en compte des thématiques diverses ; néanmoins, l’ajout d’un certain nombre d’articles n’a fait qu’en aggraver le manque de lisibilité.
Voilà un an, en séance publique, nous avions eu un débat avec Mme la garde des sceaux sur le rôle de la navette parlementaire. Rappelons que celle-ci doit permettre d’enrichir les textes sans les dénaturer, et non d’adopter au Sénat des textes qui sont ensuite vidés de leur substance par l’Assemblée nationale.
Donner du sens au débat parlementaire, respecter le travail des deux assemblées et les positions qui s’y expriment, c’est aussi et surtout cela. Je ne peux d’ailleurs que regretter que nous débattions du présent projet de loi entre la poire et le fromage dans le menu territorial très copieux qui nous occupe depuis de nombreux jours – et ce n’est pas fini ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur. C'est vrai !

Mme Cécile Cukierman. Là encore, on peut s’interroger sur la qualité et la visibilité de nos débats. Rappelons que nous sommes, au moins dans le discours, tous dans cette enceinte liés par la nécessité de répondre à l’enjeu de redonner du sens à la vie politique, de ne pas creuser encore un peu plus le fossé entre les citoyens et celle-ci. On l’a dit, le président du Sénat, au travers de deux groupes de travail, entend réfléchir à nos méthodes de travail. Cela y participe.
À l’issue de la première lecture par l’Assemblée nationale persistait un point essentiel de désaccord qui est à l’origine de l’échec de la commission mixte paritaire : la question du droit des obligations. Nous le rappelions lors de la première lecture, il s’agit d’une réforme majeure et attendue de ce droit. Toute réforme du code civil, qui organise la vie de nos concitoyens depuis plus de deux siècles, revêt une importance telle qu’il n’est pas concevable qu’aucun débat public n’ait lieu au préalable. Enfin, comme l’a indiqué M. le rapporteur, « compte tenu de l’ampleur de la réforme, de la multitude des sujets évoqués et de l’imprécision de la plupart des formulations, la question de la constitutionnalité de l’habilitation pourrait donc être posée. »
Nous souhaitons avoir un véritable débat et être saisis sur le fond d’une telle réforme. C'est la raison pour laquelle nous soutenons la suppression de l’article 3.
Sur les autres articles supprimés ou modifiés, nous suivrons la position de la commission des lois. Il n’en ira toutefois pas de même pour ce qui concerne la réforme de la collégialité du Tribunal des conflits sur laquelle nous reviendrons à l’occasion de la discussion de l’amendement déposé par certains collègues du RDSE.
En l’état, nous voterons le texte de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Arnell.

M. Guillaume Arnell. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la modernisation de l’action publique a été engagée par le Gouvernement, dans le droit fil de l’objectif incontestable, et incontesté, du « choc de simplification ».
En matière de justice, la simplification des procédures ressortit à un impératif constitutionnel bien connu d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi. Il s’agit de faire en sorte qu’aucun justiciable ne puisse se dire, à l’instar du héros kafkaïen : « Avoir un pareil procès, c’est déjà l’avoir perdu. » Si les efforts consentis dans ce domaine depuis 2012 sont importants pour nos concitoyens, le groupe du RDSE a rappelé à plusieurs reprises, à l’occasion de discussions portant sur des textes similaires, que la simplification ne doit pas ignorer la complexité inhérente et, donc, irrémédiable du droit qui est un reflet de celle de nos sociétés.
La question se pose notamment pour la réforme du droit des obligations, qui constitue le nœud du désaccord entre le Sénat et l’Assemblée nationale. Le Gouvernement souhaite que celle-ci soit mise en œuvre par le biais d’une ordonnance. Il est vrai que cette réforme occupe les esprits depuis le projet Catala et que le calendrier parlementaire ne semble pas permettre la discussion d’un texte qui serait excessivement technique et long.
Pourtant, c’est au Parlement de se saisir de ce sujet, et nous vous invitons, mes chers collègues, à mettre en œuvre tous les outils de la procédure législative à votre disposition pour que ces difficultés soient levées.
Les deux assemblées sont toutefois arrivées à un accord sur de nombreuses dispositions du présent projet de loi. Nous saluons la sagesse de M. le rapporteur et de la commission des lois qui sont parvenus à corriger les travers, peut-être inévitables, de ce texte et d’autres de même nature qui touchent des pans entiers du droit.
Parmi les avancées que compte ce projet de loi, citons l’articulation de la procédure de divorce et de la liquidation du régime matrimonial, l’instauration d’un nouveau mode de preuve simplifié pour justifier de la qualité d’héritier dans les successions d’un montant limité, ou encore le développement de la communication par voie électronique dans les procédures judiciaires, autant de mesures qui simplifieront de manière significative les démarches des justiciables.
L’Assemblée nationale a, de plus, introduit, par voie d’amendement, des mesures opportunes pour ce qui concerne les amendes routières. Le délai de paiement d’une amende forfaitaire minorée en matière d’infraction routière a été étendu de trois à quinze jours lorsque le contrevenant est présent lors de la verbalisation, ce qui est plus favorable à l’intéressé.
Au terme de l’adoption d’un autre amendement, la transmission par voie électronique des contestations relatives aux avis de contravention routière a été autorisée, mesure que les justiciables ne pourront qu’approuver.
Enfin, parmi nos motifs de satisfaction, relevons l’habilitation accordée au Gouvernement à procéder à la fusion ou à la suppression de commissions consultatives, qui ont fleuri ces dernières années, sans qu’ait été entreprise une rationalisation de leur nombre.
Il est ainsi aujourd’hui devenu évident, comme l’avait également montré la discussion de la loi relative à la simplification de la vie des entreprises, que l’accessibilité du droit passe par la dématérialisation des démarches administratives, la coordination des divers services et la circulation de l’information.
À ces principes qui guident notre travail, j’ajouterai que la modernisation de la justice est aussi une question de moyens, financiers et humains.
Cette question se pose avec acuité dans la collectivité de Saint-Martin que j’ai l’honneur de représenter en ces murs.
Dans un rapport sénatorial d’information de 2011, MM. Cointat et Frimat s’étaient inquiétés de la « réalité de l’accès des citoyens à la justice » ainsi que du « respect par l’État des droits des justiciables » dans les territoires ultramarins de Guadeloupe, de Martinique et de Guyane.
Ainsi, le ressort de la cour d’appel de Guadeloupe s’étend à Saint-Martin et Saint-Barthélemy, ce qui pose d’importantes difficultés, d’un point de vue matériel notamment : je pense en particulier au transfert des dossiers, aux frais postaux démultipliés, à la rotation des gendarmes avec les détenus. Nous ne disposons pas, par ailleurs, d’établissement pénitentiaire, ce qui entraîne d’innombrables problèmes et une rupture d’égalité entre les citoyens : comme nos détenus sont incarcérés en Guadeloupe, ils se trouvent en situation de rupture familiale.
J’aurai l’occasion d’approfondir ces points que nous venons d’aborder avec Mme la garde des sceaux très prochainement, afin de rechercher des solutions.
De plus, les questions relatives à la création d’une chambre détachée du tribunal de grande instance de Basse-Terre, à la création d’une unité éducative renforcée, à la mise à disposition des locaux par la collectivité pour une meilleure qualité de service rendu aux justiciables – elle semble anormalement compliquée –, et au détachement des services d’un greffe seront au centre de nos discussions.
Cela étant, l’ensemble des membres du RDSE approuvent le texte proposé. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe écologiste.)

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