La valeur propre de l'animal, bien au-delà de sa valeur marchande, l'exclut nécessairement du titre 1er du livre 2 du code civil intitulé : « De la distinction des biens ». Il n'est évidemment pas question de modifier son régime actuel d'appropriation, ni même de lui conférer la reconnaissance d'un statut de sujet de droit mais de faire reconnaître ses particularités par rapport aux biens.
extrait de l'Exposé des motifs
N° 575
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011
Enregistré à la Présidence du Sénat le 7 juin 2011
PROPOSITION DE LOI
reconnaissant à l'animal le caractère d'être vivant et sensible dans le code civil,
PRÉSENTÉE
Par MM. Roland POVINELLI, Didier BOULAUD, Mme Nicole BONNEFOY et M. René-Pierre SIGNÉ,
Sénateurs
(Envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Si la question du statut juridique de l'animal a été posée à de nombreuses reprises, parfois même à l'initiative du Gouvernement, force est de constater qu'aucune avancée majeure n'a été permise.
L'animal est de plus en plus lié à l'homme, que ce soit sur un plan purement affectif pour les animaux de compagnie, sur le plan philosophique du respect dû à tous les êtres vivants qui peuplent la planète, et sur le plan scientifique des parentés biologiques parfois très proches entre les espèces.
La loi n° 99-5 du 6 janvier 1999 relative aux animaux dangereux et errants et à la protection des animaux comporte un volet concernant la protection des animaux domestiques et notamment une modification des textes du code civil. Ainsi, l'article 528 distingue les animaux des corps inanimés (choses) et l'article 524 sépare les animaux des objets servant à l'exploitation du fonds.
Cette réforme fut avant tout la confirmation d'un changement de mentalité montrant la volonté politique de tenir compte du désir d'un grand nombre de concitoyens de voir donner à l'animal la place qui doit être la sienne, avec la charge affective qui s'y attache et le sentiment de compassion qu'engendre ses souffrances.
Mais les modifications opérées par la loi du 6 janvier 1999 sont insuffisantes puisqu'elles maintiennent l'animal dans la catégorie des meubles.
Le régime juridique actuel de l'animal, retranscrit aux articles 524 et 528 du code civil, l'assimile donc à un bien meuble. Ces textes sont aujourd'hui à mettre en conformité avec un droit européen qui a considérablement évolué en matière de protection animalière. De nombreux pays européens ont ainsi modifié, au cours des dernières années, le statut juridique des animaux ou, du moins, renforcé les sanctions punissant leur maltraitance.
La présente proposition de loi se rapprocherait de celles qui ont été opérées dans les codes suisse, autrichien, allemand, polonais, russe et moldave et aurait le mérite de mieux définir l'animal tout en rappelant l'indispensable respect de son bien-être.
La plupart des associations de défense animale et des juristes intéressés par le statut de l'animal jugent indispensable que le code civil définisse l'animal comme « être sensible », caractère dont découle son droit au bien-être. De même, l'ensemble des juristes consultés ont estimé que la réforme la plus logique et la plus satisfaisante consisterait à sortir l'animal de la catégorie des biens.
Le rapport de Mme Suzanne ANTOINE sur le régime juridique de l'animal, remis au Gouvernement le 10 mai 2005 et qui n'a malheureusement connu aucune suite juridique, recommande la mise en conformité des normes du code civil avec des dispositions du code pénal, du code rural mais aussi des engagements pris par la France lors du traité d'Amsterdam de tenir compte, dans sa législation, du bien-être des animaux, créatures douées de sensibilité. Le code pénal condamne les maltraitances commises envers les animaux placés sous la responsabilité de l'homme. Le code rural reprend lui les dispositions de l'article 9 de la loi du 10 juillet 1976, à savoir que tout animal étant un être sensible, il doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce.
Le caractère de sensibilité de l'animal se doit cependant d'être clarifié et défini au sein du code civil. La fondation Ligue française des droits de l'animal propose, dans un article paru dans la revue « Droit animal, éthique et sciences » au mois d'avril 2011, la définition suivante :
« Tout animal appartenant à une classe ou superclasse zoologique dans laquelle au moins une espèce est scientifiquement présumée apte à ressentir la douleur et/ou à éprouver d'autres émotions doit faire l'objet de dispositions législatives et réglementaires destinées à faire respecter cette sensibilité particulière. »
Ainsi, l'aptitude à ressentir la douleur et à éprouver d'autres émotions, au regard, entre autres, de l'effectivité de leur système nerveux supérieur, semble apparaitre comme l'une des bases indispensables à une telle définition. C'est sur cette base que les rédacteurs de la présente proposition de loi entendent donner au statut juridique de l'animal, dans le code civil, une portée susceptible de s'étendre aux autres codes et ce afin de permettre une véritable harmonisation du droit de l'animal en France.
La valeur propre de l'animal, bien au-delà de sa valeur marchande, l'exclut nécessairement du titre 1er du livre 2 du code civil intitulé : « De la distinction des biens ». Il n'est évidemment pas question de modifier son régime actuel d'appropriation, ni même de lui conférer la reconnaissance d'un statut de sujet de droit mais de faire reconnaître ses particularités par rapport aux biens. Dans un titre 1er A intitulé : « Des animaux », serait défini, à travers un nouvel article 515-14, son caractère d'être vivant et sensible, et précisé son droit au bien être.
Les conditions d'appropriation de l'animal seront définies à travers un nouvel article 515-15, comme devant se référer aux dispositions du code civil sur la vente et aux textes spécifiques du code rural.
Les autres titres ne feront l'objet que de simples modifications de coordination destinées à en éliminer les références aux animaux.
Enfin, l'animal sauvage ne trouve pas sa place dans notre droit. Il n'existe qu'en tant qu'appartenant à une espèce de la faune sauvage, laquelle est régie par le code de l'environnement à divers titres comme la préservation, la chasse, la pêche et la destruction.
Mais jamais il n'est fait référence à sa nature propre. Une distinction existe avec l'animal domestique, à qui le code attribue dans le même code de l'environnement le caractère de sensibilité. N'est-il pas choquant que notre droit refuse la nature d'« être sensible » à un animal sauvage, alors qu'elle est accordée à un animal de la même espèce, tenu en captivité ?
Nous pouvons prendre l'exemple de tout gibier élevé par l'homme, et protégé à ce titre en tant qu'animal domestique, mais perdant tout caractère d'être sensible dès lors qu'il vit en liberté. Nous pouvons également évoquer le cas des animaux sauvages dont les espèces ne sont classées ni chassables, ni nuisibles, ni protégées, ce qui relègue ces animaux à l'état de « biens qui n'ont pas de maître » (art. 713 du code civil) ou de « choses qui n'appartiennent à personne et dont l'usage est commun à tous » (art. 714). L'animal sauvage est ainsi doté d'un statut « res nullius ».
Leur protection est ainsi mise à mal et ils peuvent être blessés, capturés, maltraités ou mis à mort en toute impunité. C'est pour cela qu'il est indispensable que la nature d'être sensible soit reconnue à l'animal sauvage.
Pour ce faire, l'article 713 du code civil doit être modifié par l'adjonction d'un alinéa, précisant que cet article n'est pas applicable à l'animal sauvage, « être vivant et sensible vivant à l'état de liberté, lequel relève du droit de l'environnement. »
PROPOSITION DE LOI
Article 1er
Le livre II du code civil est ainsi modifié :
1° L'intitulé est ainsi rédigé : « Des animaux, des biens et des différentes modifications de la propriété » ;
2° Il est inséré un titre Ier A ainsi rédigé :
« TITRE Ier A
« DES ANIMAUX »
« Art. L. 515-14. - Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité en ce qu'ils sont dotés d'un système nerveux supérieur les rendant scientifiquement aptes à ressentir la douleur et à éprouver d'autres émotions.
« Ils sont placés dans des conditions conformes aux impératifs biologiques de leur espèce et au respect de leur bien-être.
« Art. L. 515-15. - L'appropriation des animaux s'effectue conformément aux dispositions du code civil sur la vente et par les textes spécifiques du code rural.
« Les dispositions relatives au contrat de louage sont applicables aux animaux.
« Art. L. 515-16. - Constituent des accessoires non détachables d'une exploitation agricole :
« - les animaux attachés à la culture, que le propriétaire du fonds y a placés pour le service et l'exploitation du fonds ;
« - les animaux que le propriétaire livre au fermier ou au métayer pour la culture, estimés ou non, tant qu'ils y demeurent par l'effet de la convention ;
« - les pigeons des colombiers, les lapins des garennes, les abeilles des ruches à miel, les poissons des eaux non visées à l'article 402 du code rural et de la pêche maritime, et des plans d'eau visés aux articles 432 et 433 du même code. »
Article 2
L'article 522 du code civil est abrogé.
Article 3
1° L'article 524 du même code est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est ainsi rédigé :
« Les objets que le propriétaire d'un fonds y a placés pour le service et l'exploitation de ce fonds sont immeubles par destination. »
2° Les troisième, sixième, septième, huitième et neuvième alinéas sont supprimés.
Article 4
L'article 528 est ainsi rédigé :
« Sont meubles par leur nature, les corps qui peuvent être transportés d'un lieu à un autre ».
Article 5
L'article 544 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La propriété des animaux est limitée par les dispositions légales qui leur sont propres. »
Article 7
Á l'article 564, le mot : « objets » est remplacé par le mot : « animaux ».
Article 8
L'article 713 est ainsi rédigé :
« Les biens qui n'ont pas de maître appartiennent à l'État.
« Les animaux domestiques, ou d'espèces sauvages apprivoisés ou tenus en captivité, trouvés errants, sont soumis aux dispositions spécifiques du code rural.
« L'animal sauvage, être doté de sensibilité vivant à l'état de liberté, relève des dispositions du code de l'environnement. »
Commentez directement sur leurs pages Facebook