Un bien commun humain
Le succès du Salon international de l’agriculture ne se dément pas. Il reste ce lieu unique au monde, à la fois espace de rencontre et de fête, vitrine de notre agriculture, du travail et des spécificités régionales, de la recherche et de l’alimentation. Les citadins y viennent en masse et en famille pour humer l’air des terroirs et découvrir chaque année un peu plus cette alliance entre la recherche, les progrès technologiques, numériques et la production agricole et alimentaire.
En venant ainsi nombreux visiter le Salon peut-être un certains nombre d’entre eux font part de leur crainte de voir disparaître un formidable patrimoine alors qu’en une décennie le nombre des petits agriculteurs a diminué de 350 000. En effet derrière cette vitrine se cache beaucoup de souffrances quand on pense aux fermetures d’exploitations agricoles, au surtravail et au surendettement que subissent nombre de familles paysannes, au revenu trop bas pour la grande majorité , dû à des prix à la production ne couvrant pas les coûts et charges. Les orientations impulsées depuis plusieurs décennies, faisant des agriculteurs de simples extracteurs de matières premières, devenues marchandises dont le prix est décidé dans quelques grandes bourses mondiales, où la spéculation dicte sa loi, sans tenir compte ni de la vie et de la qualité des sols, des différences climatiques, des traditions et des diversités alimentaires et culturelles, mais surtout de la santé humaine et animale nous mènent dans de douloureuses impasses.
Les progrès techniques pourraient, aujourd’hui encore plus qu’hier, permettre d’alléger la peine des hommes, d’améliorer l’environnement et d’ouvrir de nouvelles possibilités pour affronter les défis nouveaux auxquels est confrontée l’humanité. Or, le travail paysan est devenu toujours plus intensif, dangereux avec l’utilisation de produits phytosanitaires dont les paysans sont les premières victimes. On ne connaîtra sans doute les effets néfastes de cette agrochimie à outrance que dans une génération. Mais déjà des alertes existent. Et la prise en main d’une grande industrie capitaliste sur l’alimentation porte en elle de multiples risques. La nourriture est de plus en plus traitée comme une simple marchandise, transportée souvent sur de longues distances, et désincarnée du vivant. La tentative de double industrialisation de la production agricole et de la valorisation agro-alimentaire prépare les usines à lait et à porc de demain pour des repas « fast-food » traités par des multinationales de la nourriture rapide. L’uniformisation culturelle accompagne l’uniformisation alimentaire.
Il y a très longtemps les êtres humains utilisaient pour leur consommation sept mille espèces végétales différentes parmi les trente mille consommables. Aujourd’hui ce ne sont plus que trente espèces qui fournissent la quasi-totalité des calories à base végétale consommées dans le monde. Et l’utilisation des techniques de modification génétique appauvrit sans cesse notre biodiversité comme la sélection animale réduit plutôt le nombre de races au lieu d’améliorer chacune d’elles à partir de leurs caractéristiques initiales adaptées à leur terroir d’origine. Le modèle industrialisé de production agricole et alimentaire, dans le cadre d’une économie capitaliste globalisée ne garantit en rien la sécurité alimentaire de neuf milliards d’êtres humains demain. Encore moins la santé humaine à terme. Cet enjeu de la santé et des équilibres environnementaux est bien trop sous-estimé dans le débat public et politique. Au contraire la politique agricole européenne ou américaine n’a pour souci que de mettre en œuvre un modèle de production alimentaire pour une nourriture pesant moins dans les budgets familiaux au profit du coût du logement, mais surtout pour ne pas avoir à augmenter les salaires et les prestations sociales. C’est la raison essentielle de destruction des prix de base fixes au profit de prix décidés par la main invisible du marché sourd et aveugle aux conditions de production, à l’environnement, à la vie humaine.
Si le projet de traité transatlantique voyait le jour, cette orientation serait considérablement aggravée avec de redoutables conséquences sur la qualité alimentaire. C’est le respect des souverainetés alimentaires dans le cadre d’un nouveau type de coopération qui peut permettre d’assurer la sécurité alimentaire de chaque peuple. Le projet d’un processus de transformation vers un modèle agro-écologique est un atout à la fois pour permettre à l’agriculture de s’adapter aux effets des changements climatiques tout en contribuant à la diminution des émissions de carbone. Une meilleure gestion des sols, un combat sérieux contre les gaspillages alimentaires et des moyens incitatifs pour modifier les méthodes et les systèmes de production plus économes en engrais, produits chimiques et en eau constitueraient des atouts considérables pour réduire ou faire cesser les modifications climatiques.
Il y a bien un projet du gouvernement en ce sens mais il est contredit par d’autres décisions comme celles d’autoriser, la semaine dernière, l’agrandissement des élevages avicoles et porcins, de donner des primes à la vache allaitante pour des troupeaux plus importants qu’auparavant, après l’autorisation des fermes de mille vaches ou de veaux et celle votée au Parlement européen de permettre à chaque Etat d’autoriser la culture des OGM.
Or, le développement technologique permettrait aujourd’hui de revenir à des systèmes de production plus durables, respectueux de l’environnement, participant à la lutte contre le dangereux réchauffement climatique. La condition est la mise en place de prix de base rémunérant correctement le travail paysan tout en améliorant le pouvoir d’achat des salariés et les prestations sociales. Une autre logique, une autre cohérence que celles qui sont à l’œuvre aujourd’hui.
Puissent les rencontres et les débats à l’occasion du Salon de l’agriculture poser les enjeux liés à l’agriculture et l’alimentation en termes totalement nouveaux. C’est un nouveau projet mondial qui devrait être mis en débat afin d’affronter les grands défis de la sécurité alimentaire mondiale, en lien avec les souverainetés alimentaires des continents combinées aux coopérations indispensables, de la qualité de la nourriture dans toutes ses dimensions, de la valorisation des territoires et des paysages en lien avec de nouveaux équilibres « villes –campagnes », le respect des biodiversités et la valorisation du travail. En définitive la production agricole et agro-alimentaire devrait être plus pensée à partir des besoins humains et de la santé et non plus à partir des projets et des espérances de profits de l’agro-buissnes. Ceci concerne chacune et chacun. L’heure est venue de rechercher un nouveau système agricole économiquement efficace et viable, socialement juste, et écologiquement durable et sain. L’alimentation ne peut être considérée comme une marchandise mais comme un bien commun humain.
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