Le bien-être animal: un enjeu crucial pour la pisciculture
Au niveau mondial, les poissons représentent la majorité des animaux vertébrés d’élevage abattus pour la consommation. En outre, plus de la moitié de la chair de poisson consommée provient des fermes aquacoles marines et d’eau douce. En constante expansion, le secteur mondial affiche une croissance de 7 % par an. L’Union européenne, plus gros importateur de poissons au monde, en a abattu elle-même entre 562 millions et 1 260 millions en 2017 dans ses élevages.
L’Autorité européenne de sécurité des aliments reconnaît aujourd’hui les poissons comme des êtres sensibles pouvant éprouver du stress et de la douleur. L’aquaculture s’est développée à une époque où on ignorait tout de cette sensibilité. Elle doit dorénavant être prise en compte pour guider l’évolution des pratiques vers plus de bien-être animal. La société entière appelle à cette évolution : un sondage de 2018 réalisé auprès de 9000 Européens révèle que 79 % des citoyens souhaitent que les poissons d’élevage soient autant protégés que les autres animaux d'élevage.
Or, si le plan de relance du gouvernement pour surmonter la crise sanitaire évoque le bien-être des animaux terrestres, aucune mesure ne mentionne le bien-être animal en pisciculture. Et ce, malgré un budget de 50 millions d’euros alloués aux filières pêche et aquaculture sur la période 2020-2022.
Des orientations stratégiques majeures concernant l’avenir de la filière aquacole aux niveaux européen et français sont attendues dans les prochains mois. Le Commission européenne doit ainsi publier ses nouvelles « Lignes directrices stratégiques pour le développement de l’aquaculture durable ». La France doit elle aussi publier son « Plan national stratégique pour le développement des aquacultures durables ». Les objectifs fixés par ces plans décideront en grande partie de la répartition des dépenses du prochain Fonds Européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP) en Europe et en France pour la période 2021-2027. D’un montant de plus de 6 milliards d’euros, ce fond est en quelque sorte l’équivalent de la Politique Agricole Commune (PAC) pour les ressources aquatiques. Une consultation publique est d’ailleurs en cours concernant le programme opérationnel français d’utilisation du FEAMP. D’autre part, au niveau français, le Comité Interprofessionnel des Produits de l’Aquaculture (CIPA) doit prochainement publier son plan de filière. Ce document exposera la stratégie de l’interprofession pour répondre à la demande sociétale exprimée lors des Etats généraux de l’alimentation.
Nous, signataires de cette tribune, demandons que l’amélioration des conditions d’élevage, de transport et d’abattage des poissons soit véritablement au cœur de ces décisions à venir. En mars 2019, le Parlement européen a d’ailleurs exprimé sa volonté d’allouer une part des subventions du FEAMP afin de faire progresser le bien-être animal.
Le levier réglementaire doit aussi être actionné. La députée Typhanie Degois fait état des carences du droit dans ce domaine dans son rapport d’information présenté en septembre dernier. La filière aquacole n’est réglementée que sur le plan sanitaire et environnemental. Les très rares normes entourant la protection animale en aquaculture sont soit non contraignantes, soit inadaptées, car pensées pour les animaux terrestres. Le Conseil de l’Union européenne lui-même invite la Commission à évaluer la nécessité d’une nouvelle législation pour les animaux actuellement non protégés par des normes spécifiques, dont les espèces aquacoles, dans ses conclusions sur le bien-être animal du 16 décembre 2019. L’Assemblée nationale française a exprimé la même volonté à la Commission dans une résolution européenne adoptée le 1er novembre dernier, faisant suite au rapport de la députée Typhanie Degois.
Dans le cadre de la stratégie « De la ferme à la fourchette », la Commission européenne a annoncé la révision prochaine des règlements européens sur le transport et l’abattage des animaux. C’est l’occasion
d’y intégrer véritablement les poissons d’élevage avec des normes ambitieuses basées sur les dernières connaissances scientifiques. En droit français comme européen, les poissons sont exclus de la réglementation protégeant les animaux au moment de l’abattage. Un rapport de la Commission européenne pointe les conséquences de cette absence de réglementation : les pratiques d’abattage des poissons de plusieurs pays européens dont la France ne sont pas conformes aux normes de l’Organisation mondiale de la santé animale. La filière est aujourd’hui prête à évoluer, ayant elle-même initié un groupe de travail avec des chercheurs pour améliorer ses pratiques d’abattage. Si le transport et l’abattage représentent des étapes critiques, la phase d’élevage doit, elle aussi, être réglementée.
Les pratiques ne peuvent être réformées que grâce aux progrès des connaissances. Or, la recherche appliquée au bien-être des poissons accuse un net retard sur celle ciblant les animaux terrestres. La soutenir est absolument crucial et la création d’un centre européen de référence sur le bien être des poissons, comme il en existe pour les porcs et les volailles, permettrait de fournir un appui scientifique indispensable.
Par ailleurs, beaucoup de poissons d’élevage appartiennent à des espèces carnivores comme les truites et les saumons, en partie nourris avec des huiles et farines de poissons pêchés en mer, appelés “poissons fourrage”. Les souffrances animales générées par les pratiques d’aquaculture sont donc aussi celles subies par ces poissons sauvages capturés par la pêche dite “minotière”. S’épuisant dans les filets, écrasés les uns sur les autres, s’asphyxiant à l’air libre et abattus sans étourdissement, ils finissent leur vie dans de longues et intenses souffrances. Entre 460 et 1100 milliards de poissons sont sacrifiés à cette fin chaque année dans le monde.
Par égard pour leurs souffrances, et dans un contexte de crise de la biodiversité et d’épuisement des populations marines, le recours à l’élevage d’espèces herbivores doit dorénavant être préféré aux espèces carnivores. Parallèlement, la recherche de solutions techniques visant à réduire la souffrance des poissons dans le cadre de la pêche commerciale doit être amorcée. L’association des vétérinaires britanniques s’est prononcée en ce sens et des chercheurs s’attèlent déjà à la tâche aux Pays-Bas et en Norvège.
Actuellement, deux projets d’élevage intensifs de saumon à Boulogne-sur-mer proposent d’augmenter notre production piscicole nationale, toutes espèces confondues, de plus de 45% en recourant à une espèce carnivore. En plus des problèmes de durabilité, cela pose d’importantes questions sur les souffrances des saumons élevés, mais aussi sur celles des poissons dont ils seront nourris.
Les considérations autour de la promotion du bien-être et de la réduction des souffrances des animaux ne doivent plus se limiter uniquement à la question des animaux terrestres.
Liste des signataires :
Associations
ALI France (Aquatic Life Institute)
Association Ailerons
Association en faveur de l'abattage des animaux dans la dignité (AFAAD)
Association française du Poisson Rouge (AFPR)
Association pour le droit à l’objection de conscience en milieu universitaire (ADOCMU)
Association Stéphane Lamart pour la défense des droits des animaux
C'est Assez
Compassion In World Farming France (CIWF)
Code Animal
Droits des Animaux
Education Ethique Animale
Fish Welfare Initiative
Fondation Brigitte Bardot
L214 éthique et animaux
La Fondation Droit Animal Ethique et Sciences (LFDA)
Œuvre d'assistance aux bêtes d'abattoirs (OABA)
PAZ (Paris Animaux Zoopolis)
Pour l’Égalité Animale (PEA)
Société Nationale pour la Défense des Animaux (SNDA)
Welfarm
Personnalités
Pauline Allier, gérante d’une exploitation agricole et diplômée en droit animalier (D.U de l’université de Limoges et Diplôme d'Établissement Protection Animale de la Science au droit de VetAgro Sup)
Hélène Barbry, juriste, lauréate du prix de droit animalier Jules Michelet 2019
Aurélien Barrau, astrophysicien, membre honoraire de l’Institut universitaire de France
Henri-Michel Baudet, docteur en médecine vétérinaire
Michel Baussier, docteur vétérinaire
Arnaud Bazin, sénateur du Val-d’Oise, Vice-président du Groupe d’Etude “Elevage” en charge de la thématique “Animal et Société”
Allain Bougrain Dubourg, président de la Ligue de Protection des Oiseaux
Dalila Bovet, professeur en éthologie, Université Paris Nanterre
Florence Burgat, directeur de recherche à l’INRAE
Aymeric Caron, journaliste, écrivain
Georges Chapouthier, directeur de Recherche Emérite au CNRS
David Chauvet, docteur en droit privé et sciences criminelles
David Cormand, député européen EELV, membre de la commission des budgets
Sophie Decupper, juriste, diplômée en droit animalier (D.U de l’Université de Limoges)
Chanel Desseigne, avocate au Barreau de Paris
Marie-Bénédicte Desvallon, avocate et solicitor, responsable des commissions droit animaux au sein du Barreau de Paris et de la Société de Législation Comparée
L. Dickel, Professeur d’Ethologie CE, Université Caen-Normandie, Université Rennes 1, CNRS.
Alice Di Concetto, juriste spécialisée en droit de l'animal
Loïc Dombreval, député de la deuxième circonscription des Alpes Maritimes
Pascal Durand, député européen, membre de la Commission d’enquête sur la protection des animaux pendant le transport
Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd France
Muriel Falaise, maîtresse de conférence droit privé, Université Lyon 3
Laurie Fredoueil, juriste, titulaire d’un master en éthique animale, lauréate du prix de droit animalier Jules Michelet 2020
Alain Grépinet, docteur vétérinaire, ancien chargé de cours et de td de législation et de droit vétérinaires à l’ENV de Toulouse
Jean-Luc Guichet, maître de conférences HDR en philosophie à l'UPJV (Université de Picardie Jules Verne/INSPE Beauvais)
Astrid Guillaume, maîtresse de conférences HDR, sémioticienne, Sorbonne université, présidente Fondatrice de la Société Française de Zoosémiotique
Catherine Helayel, secrétaire régionale Île-de-France du Parti animaliste et co-fondatrice de l'association Animal Justice et Droit
Sarah Jeannin, docteure en Ethologie et psychologue
Chloé Laubu, docteure en éthologie, auteure d'une thèse sur le comportement et les émotions des poissons cichlidés zébrés
Philippe Lazar, directeur de recherche honoraire à l’INSERM
Brigitte Leblanc, docteure vétérinaire, titulaire du Diplôme d'Etablissement Protection Animale de la Science au Droit de VetAgro Sup
Anne-Claire Lomellini-Dereclenne, docteur vétérinaire, PhD en bien-être animal
Frédéric Mesguich, administrateur de la Blogothèque Animaliste, docteur en chimie
Sébastien Moro, vulgarisateur scientifique, co-auteur de la bande dessinée Les paupières des poissons
Léa Mourey, avocate au Barreau de Strasbourg
Simon Nordmann, juriste, diplômé en droit animalier (D.U de l’Université de Limoges)
Jean-Claude Nouët, biologiste, Professeur des Universités
Younous Omarjee, député européen et membre de l’intergroupe sur le bien-être et la conservation des animaux
Claire O’Petit, députée LREM de la 5ème circonscription de l’Eure
Pr Patrick Pageat, Professeur associé en éthologie appliquée et bien-être animal- Ecole d’Ingénieurs de Purpan, chercheur Sénior à l’IRSEA-Aquaculture Research Centre
Laurence Parisot, vice-présidente de la LFDA
Marie Pelé, chercheure en éthologie
Corine Pelluchon, philosophe, professeur à l'université Gustave Eiffel
Axelle Playoust-Braure, journaliste et essayiste
Gautier Riberolles, étudiant en éthologie, membre du comité scientifique de la LFDA
Matthieu Ricard, moine bouddhiste, photographe et auteur
Annie Roi, spécialiste aquariophilie
Caroline Roose, députée européenne du groupe Verts-ALE, membre de la Commission de la Pêche
Cédric Sueur, maître de conférence en éthologie, Université de Strasbourg
Jessica Serra, éthologue
Dr. Lynne Sneddon, chercheuse et maître de conférence au Laboratoire d'Endocrinologie des poissons, Université de Göteborg
Olivia Symniacos, fondatrice du Cabinet Animalex-Avocats
Marie Trabalon, enseignant-chercheur en physiologie du comportement
Commentez directement sur leurs pages Facebook