Article unique
Le septième alinéa de l’article 521-1 du code pénal est supprimé.
L'article 521-1 réprime les «actes de cruauté» et «sévices graves» commis à l'encontre d'un «animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité» ; son alinéa 7 indique que «Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux courses de taureaux [à la corrida] lorsqu’une tradition locale ininterrompue peut être invoquée».
N° 228
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
TREIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 25 septembre 2007.
PROPOSITION DE LOI
visant à interdire tous les sévices graves envers les animaux domestiques ou apprivoisés, ou tenus en captivité, susceptibles d’être exercés lorsqu’une tradition locale ininterrompue peut être invoquée,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
PRÉSENTÉE
PAR Mme Muriel MARLAND-MILITELLO, MM. Manuel AESCHLIMANN, Patrick BEAUDOUIN, Jacques Alain BÉNISTI, Mme Martine BILLARD, MM. François CALVET, Jean-François CHOSSY, Yves COCHET, Lucien DEGAUCHY, Richard DELL’AGNOLA, Éric DIARD, Dominique DORD, Nicolas DUPONT-AIGNAN, Renaud DUTREIL, Georges FENECH, Alain FERRY, Marc FRANCINA, Mme Annick GIRARDIN, M. François GROSDIDIER Mme Arlette GROSSKOST, MM. Christophe GUILLOTEAU, Francis HILLMEYER, Mmes Françoise HOSTALIER, Maryse JOISSAINS-MASINI, Marguerite LAMOUR, Catherine LEMORTON, MM. Lionnel LUCA, Franck MARLIN, Jean MARSAUDON, Philippe Armand MARTIN, Patrice MARTIN-LALANDE, Mme Henriette MARTINEZ, MM. Jean-Philippe MAURER, Jean-Marc NESME, Jean-Pierre NICOLAS, Bertrand PANCHER, Bernard PERRUT, Henri PLAGNOL, Mme Bérengère POLETTI, MM. Jacques REMILLER, François ROCHEBLOINE, Jean-Marc ROUBAUD, Bruno SANDRAS, Daniel SPAGNOU, Éric STRAUMANN, Christian VANNESTE et Michel ZUMKELLER,
députés.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
« Je ne suis pas un écologiste qui dit qu’une souris a autant de responsabilité que moi, je suis un écologiste qui dit que j’ai plus de conscience que la souris et que je suis donc responsable aussi de la souris. » Jean-Marie Pelt, La vie est mon Jardin.
La volonté de combattre toutes les violences et les souffrances qui en découlent, reflète une des avancées de nos sociétés contemporaines. Au travers de dispositions législatives, nos responsables politiques ont exprimé à maintes reprises leur détermination à protéger les êtres les plus faibles, vulnérables à l’agressivité des plus forts.
La sensibilité à la souffrance d’autrui ne s’arrête plus de nos jours à la souffrance humaine. « Face à la souffrance humaine ou animale, le cœur et la compassion ne se divisent pas » Théodore Monod.
Nos contemporains, conscients de la souffrance que peut ressentir tout être sensible doué de mémoire, ont étendu cette protection juridique aux animaux qui sont sous notre responsabilité, quand il s’agit de sévices graves.
« Art. 521-1 du code pénal, alinéas 1 et 2 :
« Le fait, publiquement ou non, d’exercer des sévices graves, ou de nature sexuelle, ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende»
À titre de peine complémentaire, le tribunal peut prononcer « l’interdiction, à titre définitif ou non, de détenir un animal ».
Malheureusement l’alinéa sept de cet article (« Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux courses de taureaux lorsqu’une tradition locale ininterrompue peut être invoquée. Elles ne sont pas non plus applicables aux combats de coqs dans les localités où une tradition ininterrompue peut être établie. » ) vide de son sens les principes énoncés dans les deux premiers alinéas. En effet il instaure une exception à cette protection élémentaire et autorise « ces sévices graves quand une tradition locale ininterrompue peut être invoquée ».
Comment le législateur peut-il à la fois condamner des actes considérés comme contraires à l’éthique et s’incliner devant le poids d’une tradition en légalisant, en son nom, la brutalité, la torture, et la mort infligées à des taureaux ou à des coqs puisqu’il s’agit précisément des spectacles de leur combat ?
D’ailleurs, en prévoyant ces exemptions, le législateur a reconnu implicitement que ces « courses de taureaux » et ces « combats de coqs » sont l’occasion « publiquement ou non, d’exercer des sévices graves ou de commettre un acte de cruauté ».
Les résistances violentes contre la suppression de l’alinéa sept prouvent combien les aficionados reconnaissent les souffrances infligées aux animaux lors des corridas et tiennent par conséquent à son maintien.
En supprimant cet alinéa sept, il ne s’agit donc pas d’établir une égalité homme-animal, mais de rendre l’homme plus grand par sa volonté de prendre en compte la souffrance animale quand elle dépend de lui.
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La souffrance animale
Nul n’ignore plus que la souffrance physique est toujours la souffrance, quel que soit l’être sur qui elle se porte.
Personne n’oserait nier la violence des combats de coqs et leur souffrance lorsqu’ils s’entredéchirent avec leurs onglets acérés jusqu’à ce que le plus ensanglanté des deux ne meure, pour le plus grand intérêt du propriétaire et de ceux qui ont parié sur le vainqueur. Imaginons, loin des regards, les méthodes de préparation du coq à cette agressivité.
Quant à eux, les taureaux programmés pour les corridas subissent aussi une préparation au combat (hors de la vue du public). Il s’agit de diminuer les facultés physiques du taureau pour l’handicaper dans le combat qui l’opposera au torero tout en exacerbant sa nervosité pour susciter une agressivité qu’il n’aurait pas naturellement.
Les taureaux subissent souvent une mutilation à vif des cornes. L’ablation porte sur la matière innervée qui est ensuite repoussée vers la racine... On imagine le supplice auquel est soumis l’animal.
Dans l’arène, les traitements que subissent les taureaux scandalisent de plus en plus l’opinion publique. Le picador enfonce une lance aux arêtes extrêmement affûtées jusqu’à 14 voire 20 cm, pour affaiblir l’animal et le contraindre à abaisser la tête et, malgré l’interdiction, vrille et fouille la plaie afin de cisailler le ligament de la nuque.
Puis le torero plante dans la chair de l’animal six banderilles munies de harpons en acier coupant de 6 cm de long afin de provoquer des hémorragies externes. Vient enfin le « coup de grâce » à l’aide d’un poignard (puntilla) pour sectionner le bulbe rachidien. Il est extrêmement rare que le premier coup porté au taureau lui soit fatal. Aussi le matador est-il obligé de s’y reprendre à plusieurs fois.
Il s’agit de tortures infligées sciemment à un animal à l’arme blanche, jusqu’à ce que la mort mette fin à cette attraction dédiée au plaisir de voir souffrir et mourir.
Comment l’ancienneté d’une pratique peut-elle, encore de nos jours, dans notre société civilisée, justifier une barbarie ? Comment peut-on, en conscience, tolérer qu’au début du XXIe siècle l’on puisse, pour le plaisir d’un divertissement, faire souffrir et tuer un animal ?
Les nouvelles pratiques
À notre époque, le souci de prendre en compte la sensibilité et partant la souffrance des animaux est un moteur du changement de nos pratiques.
Une politique généralisée de limitation de la souffrance s’observe en effet dans les laboratoires d’expérimentation où l’on administre des anesthésiques de plus en plus souvent. Les scientifiques, d’ailleurs, mènent leurs recherches biologiques sur des cellules de culture avec d’excellents résultats, pour éviter l’utilisation d’animaux. À l’école, en cours de biologie, pourrait-on encore imaginer que l’on puisse pratiquer des expérimentations sur des animaux, comme la vivisection des grenouilles ?
Il est réconfortant de penser que les progrès de la science s’accompagnent, dans notre société, de progrès éthiques et humanistes.
La protection des animaux s’exerce aussi au bénéfice de ceux qui sont destinés à l’alimentation des hommes. Leurs conditions de vie sont contrôlées dans les exploitations d’élevage. Les abattoirs ont mis au point des méthodes réduisant au maximum le stress et les douleurs des animaux abattus.
Dans le spectacle vivant, le renouveau du cirque passe par des numéros qui n’utilisent pratiquement plus d’animaux, alors qu’aucune législation ne l’oblige. Le travail forcé d’animaux qui ne se faisait pas toujours sans souffrance (pendant les entraînements hors la vue du public) a suscité de nombreuses critiques et le nouveau cirque connaît actuellement un succès populaire avec les seules performances des artistes.
Les législations internationales
Les législations internationales interdisent progressivement les pratiques violentes envers les animaux. D’ailleurs, la plupart des pays européens ne pratiquent pas de spectacles mettant en scène la souffrance animale.
La Grande-Bretagne a aboli la chasse à courre.
Le Tadjikistan a interdit les combats de coqs qui « portent atteintes au développement moral des jeunes qui feront preuve de cruauté plus tard envers les animaux ».
C’est également pour des raisons éthiques qu’en Espagne, 41 villes de Catalogne se sont déclarées villes anti-corrida par vote démocratique, à commencer par Barcelone « pour non-respect de la législation sur la protection de l’enfance ».
Il s’agit de prendre en compte les deux dimensions du problème : non seulement la souffrance de l’animal mais aussi l’éducation morale de l’enfant.
L’éducation de l’enfant
En encourageant des cruautés exercées en public, on pervertit l’éthique à transmettre à nos jeunes.
Amener un enfant à un spectacle qui accoutume à la souffrance, à la vue du sang, exalte ses passions nocives en les couvrant d’apparats. Le masque de la beauté, beauté revendiquée par les aficionados, ne saurait occulter la cruauté. N’est-ce pas une perversion de l’éducation artistique que de la déconnecter de l’esprit de compassion ? N’est-ce pas une perversion du mythe de l’héroïsme que d’inciter les jeunes « à se jouer la vie » ?
Sur le plan pédagogique, la corrida fait perdre tout repère à l’enfant. Comment peut-il comprendre qu’il est splendide de planter des harpons sur le dos d’un taureau mais qu’en revanche il est interdit de le faire sur le dos d’un cheval ?
L’absence de repères est à son comble lorsque l’enfant suit une initiation dès l’âge de 7 ans, dans les écoles de tauromachie. Ils y font l’apprentissage de la cruauté avec des exercices pratiques sur des veaux et des vachettes. Est-ce vraiment le meilleur moyen d’enseigner aux enfants l’amour pour les animaux ?
Une tradition ancienne doit-elle transgresser l’éthique et les valeurs humanistes actuelles que l’on doit inculquer à nos enfants ?
Adopter une loi interdisant ces spectacles aux mineurs paraît nécessaire pour les raisons que l’on vient de citer. Néanmoins se contenter de cela présente deux inconvénients majeurs :
– d’une part, la légitimation du principe même de la tauromachie, en pérennisant, à la grande satisfaction des aficionados, la représentation de ces combats pour les adultes.
– d’autre part, l’occultation du problème de la souffrance animale, qui est la même quel que soit l’âge du spectateur.
Le droit et la liberté de vivre sa culture
Les traditions et les coutumes sont la mémoire de nos régions et elles leur confèrent cette richesse et cette diversité qu’il faut préserver, à condition bien sûr qu’elles respectent les fondements éthiques de notre civilisation.
À cet égard, nous ne pouvons qu’être stupéfaits de lire : « Chaque être humain est libre de choisir le sort qu’il destine à un animal. » Monsieur Fournier, maire de Nîmes.
Et que penser des aficionados, qui avec lui, revendiquent « le droit au sens fort du terme de vivre leur passion » et « la liberté de prolonger au XXe siècle l’une des plus anciennes formes de culture qui inscrit le taureau mythique dans la réalité, l’imaginaire et la métaphysique des sociétés humaines depuis la nuit des temps » ? Il s’agit d’ailleurs d’une « tradition » qui ne remonte qu’à 150 ans...
Mais en tout état de cause, l’ancienneté et la pratique constante d’une tradition ne peuvent légitimer la barbarie qu’elle perpétue.
Les droits et les libertés de chacun ne sauraient transgresser les valeurs qui régissent notre société et qui sont à l’opposé de cette violence aux saveurs primitives que véhiculent la tauromachie et les combats de coqs.
Les aficionados en sont tellement conscients qu’ils tentent d’atténuer la réalité sanglante de la tauromachie en s’évertuant à magnifier la victime et à transcender ce reliquat d’un passé primitif et barbare en le qualifiant d’art « La corrida est le seul art qui nous renvoie à la mort. » La culture historique n’est-elle pas le vêtement qui sert à déguiser la cruauté ?
D’ailleurs s’il ne s’agit là que de pratiques artistiques, sans sévices graves pour les animaux, pourquoi certains s’obstinent-ils à refuser la suppression d’un alinéa superflu. Ils devraient plutôt, soucieux de simplifier notre droit, cosigner la présente proposition de loi.
Nous ne sommes pas dupes. Nous avons bien conscience du plaisir que peuvent ressentir certains de nos contemporains au spectacle de l’agonie et de la mise à mort d’un taureau. Comme autrefois certains se réjouissaient des combats de gladiateurs, des supplices de sorcières ou plus récemment des exécutions publiques de condamnés. « De tout temps la vue du sang, de la souffrance et de la mort a attiré des foules enthousiastes venues exorciser leurs peurs ou satisfaire des pulsions intérieures » comme l’a justement écrit Monsieur Marsaudon, député de l’Essonne, dans une correspondance à Monsieur Fournier.
C’est justement pour éradiquer progressivement ces traditions barbares héritées des temps passés que les législations évoluent.
L’aspect économique
Même si l’on ne peut pas mettre au même niveau un intérêt économique et une valeur humaniste – car dans ce cas aucun progrès social n’aurait pu se réaliser (l’on continuerait par exemple à pratiquer l’esclavage) –, il est faux de prétendre que l’interdiction des corridas « porterait atteinte au développement touristique et économique des régions où elles se pratiquent ».
C’est essentiellement la feria et non la corrida qui rapporte aux commerçants. Une minorité seulement des personnes qui viennent faire la fête dans les rues passe dans les arènes : en moyenne 90 % viennent se divertir et consommer, sans assister aux corridas.
Au contraire les corridas suscitent de plus en plus de rejet. Ils nuisent même au tourisme : de très nombreux organisateurs internationaux de tourisme boycottent les villes taurines et posent la question : « N’existe-t-il pas de sociétés à visage humain en France ? » et avertissent : « qu’elles ne se rendront plus jamais en Provence aussi longtemps que les corridas figureront au programme de divertissements » (Mac Donald, Martin Travels, Thomas Cook...). Même les cités jumelées aux villes qui pratiquent les corridas, telle la ville anglaise de Stockport jumelée à Béziers, s’en offusquent : « retirez votre aide financière à ce sport cruel, aucune excuse ne peut justifier la mutilation et la torture d’animaux, ni pour le plaisir, ni pour quelque autre raison ». De même le maire d’Eggenfelden, ville allemande jumelée à Carcassonne, qui, après avoir visionné un court métrage, rend publique sa condamnation de la corrida qu’il qualifie de spectacle sanglant.
En ces temps où les corridas ne font plus véritablement recette, le lobby taurin cherche d’autres financements que les subventions de leur municipalité. Ils organisent des « corridas de bienfaisance » au profit d’associations d’enfants atteints d’une maladie ou d’un handicap.
L’Association des paralysés de France (APF) a dépassé son intérêt égoïste et refuse tout argent provenant d’une perversion du système de bienfaisance. En effet, d’après le directeur général de l’APF, « il faut savoir rompre avec des pratiques qui bien qu’ancrées dans une certaine tradition ne sont plus en phase avec notre époque ».
Il apparaît indispensable d’éclairer nos concitoyens sur les sources de financement de ces spectacles. C’est le but des parlementaires qui projettent, à l’initiative de députés de diverses sensibilités politiques, de « créer » une commission d’enquête sur l’argent de la corrida en France.
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La cause animale, même si elle n’est pas une priorité par rapport aux souffrances humaines, est une cause qui dépend de la volonté humaine. Encore une fois, l’on ne s’attend pas à ce que les droits humains soient étendus aux animaux. Nous attendons des représentants de la Nation et des pouvoirs publics ce geste symbolique dans le sens de la compassion. Nous formulons l’espoir que de pseudo raisons économiques et des traditions culturelles d’un autre âge ne puissent s’opposer victorieusement à la sensibilité de l’Homme du XXIe siècle.
La légitimité de la France à soutenir dans le monde les combats en faveur de la cause animale perd toute crédibilité si elle n’applique pas chez elle les principes qu’elle défend ailleurs.
Tôt ou tard nos enfants s’indigneront massivement que des députés de la Nation se soient obstinés dans leur refus d’empêcher de torturer des taureaux et des coqs, pour le simple plaisir de quelques hommes ou pour quelque raison économique, comme on s’indigne aujourd’hui des combats de gladiateurs ou des exécutions publiques.
Tous ensemble, refusons une disposition législative incohérente et contradictoire avec elle-même. Prenons nos responsabilités. Ayons le courage de renverser ces pratiques d’un autre âge. Au delà des contingences politiques, prenons des positions qui honorent notre civilisation, qui honorent la France.
PROPOSITION DE LOI
Article unique
Le septième alinéa de l’article 521-1 du code pénal est supprimé.
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