Aiguillonnée par le mouvement antispéciste et animaliste, la majorité En marche ! veut interdire les animaux sauvages dans les cirques itinérants. La raison invoquée est celle du bien-être animal, une notion dont tout le monde peu ou prou accepte la nécessité mais dont les limites restent floues. Jusqu'ici, le respect des normes suffisait à créer une présomption de bientraitance. Désormais, la dimension subjective prend le dessus.
En effet, les promoteurs du RIP animal, qui a servi de base au texte introduit devant le Parlement par Cédric Villani, ne sont pas des « welfaristes » (ceux qui abordent la question de l'animal par la bientraitance) mais des abolitionnistes qui visent en réalité à nier la frontière des espèces, considérant finalement que les animaux et les hommes sont égaux.
Outre le fait que l'amalgame homme/animal jette à bas mille ans de construction intellectuelle impulsée par Saint Augustin et poursuivie par Descartes, il fait l'impasse sur le concept de conscience de soi, et surtout mène vers une impasse logique : l'abolition de l'esclavage animal débute par le lion en cage, mais demain ce sera l'élevage, et pourquoi pas le chien en laisse ou en appartement, comme le désirent les abolitionnistes et comme l'ignorent, hélas, tous les amoureux des animaux.
Ainsi, le professeur Gary Francione, l'un des penseurs majeurs de l'antispécisme, explique que l'approche abolitionniste s'applique également à la pratique d'avoir des animaux de compagnie, car cela n'est pas plus justifiable que les autres formes d'exploitation. En effet, les animaux de compagnie sont tout autant considérés comme des biens meubles que l'on adopte pour satisfaire nos plaisirs, ce qui s'apparente à l'esclavagisme. En réalité, l'approche abolitionniste revendique l'extinction de toutes les espèces domestiquées.
L'antispécisme conduit in fine à la fin pure et simple de l'élevage
À côté des welfaristes et des abolitionnistes, tous les parrains de ce texte ne partagent pas des objectifs aussi purs. Parmi les promoteurs du RIP pour les animaux, on trouve ainsi Xavier Niel, propriétaire de Kima Ventures, qui investit dans la viande artificielle en labo. L'antispécisme conduit in fine à la fin pure et simple de l'élevage et à engraisser l'industrie artificielle.
Le texte débattu aujourd'hui au Parlement a choisi d'entamer son combat en prenant quatre cibles principales. Deux d'entre elles ont des défenseurs puissants et mobilisés : il s'agit de la chasse et de l'élevage, des univers qui sont suffisamment organisés pour faire barrage à des dispositions décalées par rapport à la réalité de leur activité. Une troisième – l'élevage de fourrure – ne fait guère débat car la faiblesse de la demande sociale rend le débat très théorique.
Reste la quatrième cible, le cirque, bouc émissaire idéal, qui par son activité nomade échappe à la territorialisation politique et qui n'a pas su s'organiser en fédération suffisamment puissante pour avoir l'oreille des pouvoirs publics.
Et pourtant, quoi de plus populaire que le cirque, un spectacle qui ravit les petits et les grands depuis deux siècles, 13 millions de Français, et qui permet aux plus modestes de voir de vrais animaux exotiques ?
Nous le pensons : avant d'interdire, il faut mûrement réfléchir à la question des animaux dans les cirques. Plus de deux cents ans de tradition, de culture risquent d'être rayés d'un trait de plume, sans que les circassiens – à qui on a expliqué qu'il fallait un scalp pour apaiser les associations environnementalistes – aient pu se défendre. Plusieurs contre-vérités circulent.
Les animaux de cirque ont bien plus d'espace que d'autres animaux en captivité
Où débute la souffrance ? Certains pointent du doigt la captivité et l'ennui. Pourtant, les animaux de cirque ont bien plus d'espace que d'autres animaux en captivité : 60 m2 pour un fauve lorsque le cirque est à l'arrêt, c'est-à-dire la plupart du temps, dans des enclos en plein champ. S'agissant de l'ennui, les animaux d'un cirque sont particulièrement stimulés en journée.
D'autres anticircassiens invoquent l'itinérance en s'appuyant sur la position de la Fédération des vétérinaires européens (FVE), hostile au transit des animaux, mais ce problème est à relativiser : la réglementation prévoit 7 m2 de cage pour un fauve lorsqu'il est transporté, alors que, dans un zoo, la législation est plus floue sur les normes minimales, même si l'on tourne en général autour de 4 m2 la nuit. Beaucoup d'animaux domestiques en captivité aimeraient avoir autant d'espace. De plus, sur la notion de stress, elle fait débat. Un reportage diffusé par la chaîne publique allemande WDR en 2011 a ainsi démontré, en s'appuyant sur le taux de cortisol dans les échantillons salivaires, que les animaux de cirque réagissaient au transport différemment, et surtout qu'après transport ils restaient bien en dessous des niveaux de stress. Enfin, rappelons que les animaux de cirque se reproduisent en captivité et vivent beaucoup plus longtemps que dans la vie sauvage.
D'autres raisonnent en distinguant animaux sauvages et animaux domestiques. C'est une frontière fragile : le serpent ou le rat sont devenus pour certains Français des animaux domestiques, alors qu'il existe des chiens et des chats sauvages. À l'inverse, les animaux dits sauvages des cirques sont domestiqués et en captivité depuis des dizaines de générations. Ils seraient incapables de vivre dans la nature, ou même dans des zoos : toute personne qui a un chien ou un chat sait intuitivement l'abattement de leur animal de compagnie si demain il était séparé de son maître, même confié à un refuge. La bientraitance passe par l'affection que l'humain accorde à l'animal, et non par de simples considérations normatives. La FVE n'hésite pas à recommander l'euthanasie des animaux de cirque en cas d'impossibilité de les réintroduire ailleurs, ce qui démontre une certaine froideur à l'égard de ces bêtes.
Ce que nous devons combattre, ce sont les mauvais traitements
Le monde du cirque vit depuis plusieurs générations en symbiose avec le monde animal et, s'il y a eu, comme dans toute famille, des moutons noirs, ils restent des cas isolés. S'il en reste, punissons-les, mais que la sanction ne touche pas tous les circassiens, sans nuance. Laissons faire la demande du public : si véritablement l'engouement faiblit, alors les cirques s'adapteront, mais sans couperet automatique.
Ce que nous devons combattre, ce sont les mauvais traitements. Ce que nous devons conserver, c'est le lien avec le monde animal. Posséder un animal de cirque suppose d'obtenir un certificat de capacité, diplôme verrouillé strictement par l'État. Demande-t-on la même chose à ces centaines de maîtres qui abandonnent leur animal de compagnie sur la route des vacances ?
Ce que nous devons combattre, c'est l'anthropomorphisme, cette idée qui fait de l'animal un humain comme les autres. Ce que nous devons conserver, c'est l'idée que l'animal n'est pas un objet, sans toutefois être l'égal des hommes. Qu'il a une sensibilité, des émotions, mais pas de conscience ou de sentiments.
Ce que nous devons combattre, enfin, c'est une vision doloriste qui fait de la soumission à l'humain, de la mort finale de l'animal ou de son absence de liberté un critère pour interdire une activité. Ce que nous devons promouvoir, c'est l'idée que, parce que nous avons conscience du bien et du mal, nous sommes responsables du bon traitement de l'animal au nom de l'idée que nous nous faisons de nous-mêmes. Les droits des éleveurs, chasseurs, circassiens ne doivent pas s'arrêter où débutent les supposés droits des animaux, mais où débutent ceux des autres humains (consommateurs, promeneurs…) et l'intérêt général. Il est d'intérêt général de sauver le cirque, qui sans animaux périclitera en partie.
Le cirque fait partie de la civilisation occidentale. Ceux qui veulent l'euthanasier oublient souvent qu'il est avant tout un spectacle populaire, familial, avec ce zeste de mépris de classe qui les empêche de cerner la véritable nature de ce qui reste avant tout une culture minoritaire et nomade à protéger.
(*) Liste des cosignataires : Julien AUBERT, député de Vaucluse ; Thibault BAZIN, député de Meurthe-et-Moselle ; Anne-Laure BLIN, député de Maine-et-Loire ; Jean-Yves BONY, député du Cantal ; Jean-Claude BOUCHET, député de Vaucluse ; Jean-Luc BOURGEAUX, député d'Ille-et-Vilaine ; Xavier BRETON, député de l'Ain ; Olivier DASSAULT, député de l'Oise ; Claude DE GANAY, député du Loiret ; Philippe GOSSELIN, député de la Manche ; Marc LE FUR, député des Côtes-d'Armor, vice-président de l'Assemblée nationale ; Geneviève LEVY, député du Var ; Didier QUENTIN, député de Charente-Maritime ; Guy TEISSIER, député des Bouches-du-Rhône ; Robert THERRY, député du Pas-de-Calais ; Laurence TRASTOUR-ISNART, député des Alpes-Maritimes ; Pierre VATIN, député de l'Oise.
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